PROMENADE NILOTIQUE
(avril 2024)
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Bêtises préliminaires
Lisant Mort sur le Nil sur le Nil.
(Photos de Sylviane Camus)
À l'entrée du Temple d'Horus à Edfou, en tenue de supporter d'Horus dans son match retour victorieux contre Set.
(Photo de Mireille Legros)
Au musée de la place Tahrir, lisant Le Roman de la momie, vêtu de La Momie, en compagnie d'une momie.
(Photo de Mireille Legros)
Au musée de la place Tahrir, lisant un bout du Livre des morts devant un bout du Livre des morts.
(Photo de Mireille Legros)
Enfin, un de mes très rares selfies avait été réalisé devant la pyramide de Nicolas Cage au Cimetière Saint-Louis N°1 à la Nouvelle-Orléans, le 27 juillet 2022:
Pour plus sur ce périple-là, voir bien sûr ma "promenade musicale" intitulée "Dix jours d'un concert à l'autre à la Nouvelle-Orléans", parue dans la revue Miranda.
... et j'ai tenté un vague remake devant la pyramide de Mykérinos sur le plateau de Gizeh:
10 avril
Le temple ptolémaïque d'Horus, à Edfou, près d'Assouan, en Haute-Égypte, fut la première étape de ce périple au long du Nil, sur un navire de croisière appelé Nile Capital. Cette visite, comme toutes celles qu'on allait faire en Haute-Égypte, se fit sous la direction d'un guide affable, drôle et captivant, métisse arabe et nubien, ancien boxeur et footballeur, du nom d'Amr (prononcé Amrou).
Mythologiquement, c'est là que le dieu-faucon fait sa fête à son oncle Set, pour venger Osiris, père défunt d'Horus et frère de Set que ce dernier a découpé en morceaux.
La conception "classique" du temple, avec sa cour ouverte à tous suivie d'une salle à colonnes dite "salle hypostyle" pour les nobles et d'un sanctuaire où n'entraient que les prêtres et le pharaon, donne l'occasion au guide de nous initier à l'architecture religieuse de l'Égypte antique.
See page for author, CC BY 4.0, via Wikimedia Commons
Voici notamment le sanctuaire, occupé, dans le cas d'Edfou, par une réplique de la barque solaire qui s'y trouvait initialement (comme il y en avait dans tous les temples (pour permettre au(x) dieu(x) du temple de voguer sur le Nil céleste) généralement "garées" soit dans le sanctuaire, soit dans les petites salles et chapelles du fond du temple, attenantes au sanctuaire):
(Photo de Sylviane Camus)
...et sortir et promener ces barques (comme représenté dans le bas-relief ci-dessous) et promener symboliquement le dieu avec, faisait partie des cérémonies religieuses pratiquées régulièrement à l'occasion de fêtes officielles:
On a aussi été initié à trois des principaux types de colonnes des bâtiments de l'Égypte antique: les colonnes à chapiteaux lotiformes (= à forme de lotus (fermé)), palmiformes (= à forme de palmier) et papyriformes (= à forme de papyrus):
Ça, c'est lotiforme.
(Photo de Mireille Legros)
À gauche, c'est palmiforme. À droite, c'est papyriforme.
Alors? Vous êtes capable de les reconnaître, sur les photos ci-dessus et ci-dessous?
(On parlera plus tard des colonnes hathoriques. C'est encore autre chose, ça.)
Pour conclure sur Edfou, une petite photo de famille/groupe:
(Photo d'une passante serviable)
Après la pause de midi, le bateau nous a conduits jusqu'au pied du temple de Kôm Ombo, construction de la même période que celui d'Edfou, très comparable dans sa structure, si ce n'est que c'est un double temple, dédié à la fois au dieu crocodile Sobek et à Haroëris (un avatar d'Horus dont le nom signifie "Horus l'Ancien"/"Horus l'Aîné").
(La dernière photo dans la galerie ci-dessus est de Sylviane Camus)
On a aussi eu l'occasion d'admirer le "nilomètre" du temple de Kôm Ombo, qui servait à mesurer/prévoir les crues et décrues du Nil:
Enfin, parce que le temple est dédié à Sobek, on y trouve un insolite "musée du crocodile" où l'on peut observer de nombreux crocodiles du Nil momifiés:
(Photos de Cecilia Camus)
11 avril
Le lendemain, on a visité Philæ et on est passé à côté d'Éléphantine. Programme d'autant plus réjouissant de par l'amusante coïncidence: la veille, dans ma lecture post-Kôm Ombo, Linnet et Simon Doyle faisaient justement semblant d'aller visiter Philæ pour tenter de semer Jacqueline de Bellefort, et Hercule Poirot visitait vraiment Éléphantine. En outre, tout ce beau monde a, dans cette partie du bouquin, son camp de base à l'hôtel Old Cataract, qu'on a aussi vu passer dans notre champ de vision pendant les allées et venues de la journée.
"Visiter Philæ", aujourd'hui, c'est en fait visiter un magnifique temple de l'époque gréco-romaine, dédié à Isis, et situé sur l'île d'Aguilkia. Il se trouvait à l'origine sur l'île de Philæ (et c'est là que Linnet et Simon Doyle prétendent aller dans le bouquin), mais celle-ci a été engloutie par le lac de retenue du haut barrage d'Assouan dans les années 1970, et, entre-temps, le temple a été sauvé en étant entièrement démonté et remonté à l'identique sur Aguilkia.
La très bonne condition de conservation du temple, le contexte insulaire, encerclé par le ciel clair et les eaux paisibles du lac, ainsi que l'ébahissement à l'idée de l'incroyable logistique du sauvetage de la structure, contribuent à donner à la visite une ambiance magique.
(Photos de Cecilia Camus)
Ça, c'était donc la visite du matin. Un bateau à moteur (comme celui en photo ci-dessous) nous avait conduits à Philæ puis nous a reconduits au bus qui nous a reconduits au Nile Capital pour le déjeuner...
(Photo de Cecilia Camus)
... non sans s'arrêter au préalable dans deux magasins d'Assouan, où on nous a fait l'article (l'un vendait des huiles essentielles, l'autre des épices), et ça me donne l'occasion de montrer quelques aperçus des rues d'Assouan, vues du bus (dont la façade du magasin d'épices, et les quais remplis de marchands où on avait pris le bateau le matin):
(Photos de Cecilia Camus)
... et, en plus de la façade, un petit aperçu de l'intérieur de la boutique d'épices:
(Photos de Sylviane Camus)
L'après-midi, c'est ensuite une felouque que nous prîmes pour un tour rapide et pittoresque des sites insulaires ou côtiers autour d'Assouan.
Felouques vues d'une felouque.
Felouque un peu comme la nôtre, vue de la nôtre. (Photo de Cecilia Camus)
Famille Camus voguant sur les flots.
(Photos de Mireille Legros)
C'est là qu'on a pu apercevoir les deux autres sites (à part Philæ) mentionnés la veille par Agatha Christie:
L'hôtel Old Cataract (nommé d'après la première cataracte (Les cataractes du Nil étant quatre rapides où la navigation est plus difficile, et la première, près d'Assouan, est la seule qui se trouve en Égypte. Les trois autres sont au Soudan.) Outre Christie qui y aurait commencé Mort sur le Nil (et donc ses persos qui y sont aussi au début), Amr a mis un point d'honneur à nous rappeler que c'était aussi l'hôtel où descendait François Mitterrand.
(1ère photo de Cecilia Camus, 2ème de Mireille Legros
L'île Éléphantine, dont le nom a inspiré plusieurs théories, sur son origine (son nom antique a trait aux éléphants et à l'ivoire, sa forme générale, sur la carte, ferait penser à celle d'une défense d'éléphant...)...
(Photo de Cecilia Camus)
... mais d'après le guide la raison serait ce rocher, qui, selon lui, fait penser à un éléphant... Allez savoir.
(Photo de Cecilia Camus)
Et, au passage, on y a aussi vu (de très loin) le mausolée de l'Aga Khan III (1877-1957), imam ismaélien (une rare communauté chiite d'Égypte):
(Photo de Cecilia Camus)
(Photo de Sylviane Camus)
Et tout ça en musique, puisque le coin grouille de chanteurs, qu'il s'agisse des jeunes qui flottent jusqu'aux felouques de touristes sur des planches de surf, puis s'y accrochent pour faire la sérénade aux passagers (donnant ainsi un nouveau sens inédit à l'expression "surf music"), ou d'un membre de l'équipage qui y va aussi de ses vocalises en s'accompagnant d'un tambour sur cadre. Plus ou moins la même playlist, d'un interprète à l'autre: "Alouette", "Il était un petit navire", "La Macarena" et "Waka Waka (This Time for Africa)", même si le membre d'équipage y ajoute aussi un chant local en arabe (avant de clôturer son tour de chant par un retentissant: "Ça roule, ma bloule?!")
(Captures d'écran à partir de vidéos filmées par Mireille Legros)
... puis sur une autre île, Sohail ou Éléphantine (Amr n'a pas précisé) pour un petit tour à travers un village traditionnel nubien:
(Photos by Cecilia Camus); les quatre dernières sont des photos de l'école
(Photos by Mireille Legros)
Une belle vue panoramique d'Assouan depuis une colline élevée au-dessus du village.
Dans une maison du village, portrait de ma mère comme si j'étais Google Maps
Sur la colline, portrait de famille sur un tuk-tuk (mon expression faciale donne une bonne idée de mon sentiment sur ce moyen de transport).
(Photo de Mireille Legros)
Par contre, pas fan du dispositif qu'ont les habitants pour montrer des crocodiles aux touristes (et encore sur les photos on ne voit pas qu'ils leur filent de petits coups de longs bâtons pour les faire bouger). J'aurais préféré ne pas en voir du tout, pauvres bêtes.
(Photos de Cecilia Camus ou Mireille Legros)
12 avril
ABOU SIMBEL !!
Là aussi, c'est le soir précédent, donc la veille de notre visite du temple que Ramsès II s'est dédié à lui-même, qu'Hercule Poirot et ses compagnons de croisière du bateau Karnak ont visité le même temple, avec une première mystérieuse tentative de meurtre à la clé.
Départ à quatre heures du mat' (il y a trois heures de bus), pause à mi-chemin pour un petit déjeuner dans le désert:
(Photos de Cecilia Camus)
...puis le bus a continué à nous rapprocher inexorablement de la frontière soudanaise, avant de bifurquer vers le lac Nasser une soixante-dizaine de kilomètres avant de changer de pays (mais de rester en Nubie!), et c'est ainsi qu'on a fini par se retrouver au pied des quatre fameux Ramsès géants qui veillent à l'entrée du temple d'Abou Simbel, colossale construction creusée à même la roche de la colline de Méha, et (comme le temple de Philae) entièrement démontée et reconstruite, dans les années 1960, pour la mettre à l'abri de la montée des eaux du lac Nasser à la suite de l'édification du haut barrage d'Assouan.
...et comme ça j'ai eu l'occasion de m'asseoir un peu avec eux, mais ils n'étaient pas très causants:
(Photo de Mireille Legros)
L'intérieur du temple ne manque pas non plus de statues de Ramsès II, cette fois-ci debout en pose dite "osiriaque", avec ses deux sceptres, nekhekh (ou "fouet" — interprété comme un chasse-mouche par certains égyptologues) et heka (censé évoquer un bâton de berger), croisés devant sa poitrine:
On y trouve aussi des bas-reliefs également à la gloire de Ramsès II (forcément, c'est son temple, fait par lui, pour lui, et même avec lui). Ainsi de la bataille de Qadesh (Syrie, 1274 AEC), que l'animateur anglais Greg Jenner a qualifié, dans le podcast historique BBC You're Dead to Me, de première "fake news" de l'histoire (dans le sens où Ramsès a perdu cette bataille contre les Hittites, mais a convaincu le peuple égyptien qu'il l'avait gagnée triomphalement) (dans la bouche de notre guide, c'est plutôt: il l'a gagnée triomphalement, mais les Syriens prétendent qu'il l'a perdue):
(Photo de Mireille Legros)
Un autre "événément" mis à l'honneur sur un mur du temple est le couronnement de Ramsès, fortement mythologisé puisque c'est les dieux Horus et Set qui procèdent à la cérémonie (Pourquoi le maléfique oncle Set, assassin d'Osiris, dieu du désert et du chaos? D'après Amr, c'était façon de nettoyer la symbolique autour d'un dieu auquel le père de Ramsès II, Séthi Ier, avait mine de rien été voué de par son nom (Séthi, qui signifie "fidèle à Set")):
(Photo de Cecilia Camus)
Du coup, puisque le prestigieux dieu pharaon Horus est de la partie, pour le couronnement, on imagine bien que nombre de colonnes de la salle hypostyle lui sont consacrées, mais il y en a aussi un certain nombre qui figurent l'épouse d'Horus, la déesse Hathor — ainsi, comme le système symbolique du temple suggère qu'Horus parraine directement Ramsès, la même chose est suggérée concernant Hathor et l'épouse de Ramsès, Nefertari:
(Photos de Cecilia Camus) (sauf la dernière, en plan large: photo de Mireille Legros)
Les nombreuses petites salles attenantes à la salle hypostyle foisonnent de bas-reliefs répétitifs figurant Ramsès II présentant des offrandes au dieu Horus (puisque l'idée de ce temple, outre le fait d'exalter Ramsès en tant que chef militaire et de lui donner le statut de dieu lui-même, était aussi pour lui de s'accaparer la fonction de prêtre):
(Cette photo-là est de Cecilia Camus)
Quant au sanctuaire, il contient, là encore, quatre statues de Ramsès II, assises de nouveau, comme sur la monumentale façade, mais dans une ambiance moins épique, plus méditative:
(Photo de Cecilia Camus)
Vue de l'entrée du sanctuaire (Photo de Mireille Legros)
À côté de son temple, Ramsès II en a aussi fait ériger un à Nefertari, la proclamant donc déesse comme il s'est proclamé dieu. (Là aussi, creusé dans la roche, à l'origine dans la colline d'Ibshek, mais lui aussi déplacé pour échapper à la submersion par le lac Nasser).
Il est notable toutefois que ce temple est nettement plus petit, et que même l'entrée n'est ornée que de deux statues de Nefertari, et quatre de Ramsès! 🙄
Du coup, petite conversation avec Ramsès, en mode: "Ramsès, t'es lourd."
(Photo de Mireille Legros)
Je suis parvenu à lui faire entendre raison (un peu), et la petite salle hypostyle s'est ainsi révélée tourner vraiment beaucoup plus autour de Nefertari, assimilée à Hathor par de nombreuses représentations de la déesse, et notamment par le fait que les colonnes sont systématiquement des "colonnes hathoriques", dont le chapiteau est orné du visage d'Hathor, reconnaissable à ses oreilles de vache.
On n'a apparemment pas de photos du sanctuaire de Nefertari. Les miennes sont plus floues que si mon appareil photo avait pris une cuite avec Ramsès, et mes compagnes de voyage n'ont pas l'air d'en avoir pris. Par contre, voici quelques jolies photos du lac Nasser et de ses abords (puisqu'on était, précisément, sur ses abords):
Interlude nautique
Comme l'après-midi du 12 avril et l'intégralité du 13 furent passés exclusivement à naviguer d'Assouan vers Louxor, c'est le bon moment pour placer quelques aperçus du Nile Capital, le bateau qui fut notre maison flottante pendant sept jours (du 9 au 15 avril) — même si ces photos ont été prises d'autres jours que le 12 et le 13.
D'abord, vu de l'extérieur, à quoi ressemble-t-il? Eh bien déjà, il n'est pas évident de le prendre, car les bateaux de croisière du Nil accostent toujours en enfilade, si bien que, pour monter sur le sien, on passe généralement par les autres. Voici, par exemple, une photo où il est le dernier de la file, donc on ne le voit pas:
(Photo de Mireille Legros)
Et voilà un autre exemple, en action, de bateau du genre du nôtre, vu du nôtre:
(Photo de Cecilia Camus)
Donc on n'a vraiment aucune photo du Nile Capital? Allez, j'arrête le suspense: on a bien une vue de notre bateau, quoique partielle, et que voici:
(Photo de Mireille Legros)
Maintenant, voilà à quoi ressemble le pont supérieur ou pont solarium:
Version Cecilia Camus:
Version Mireille Legros:
Vues des berges du Nil depuis les fauteuils confortables des ponts intérieurs:
+ quelques photos des fauteuils confortables des ponts intérieurs:
(Photos de Sylviane Camus)
Le bar (avec un aperçu de l'escalier du hall d'entrée):
(Photos de Mireille Legros)
... et la version "soirée danses et chants nubiens" (Photo de Cecilia Camus)
L'entrée du restaurant (pendant la "soirée orientale" — les autres jours, les serveurs qu'on voit là étaient en costards...)
(... ou en uniformes de cuistots...)
(Photos de Cecilia Camus)
Enfin, les chambres (quatre photos de moi, puis deux de Cecilia Camus, puis une de Mireille Legros):
... avec notamment un aperçu de la créativité du personnel qui les nettoyait (première et dernière photos de Cecilia Camus; les autres sont de Mireille Legros):
Oh, et si, finalement, on a quelques photos qui datent bien du 13 avril (des photos de l'écluse d'Esna, et surtout des marchands qui s'approchent en barques des bateaux de croisière pour essayer de vendre des vêtements et souvenirs aux passagers:
(Photos de Cecilia Camus)
... et puisqu'on parle des "vendeurs à la sauvette" du Nil, observons donc aussi, en action, les éboueurs du Nil:
(Photo de Sylviane Camus)
Donc, pour résumer ces premiers jours:
14 avril
Journée extrêêêêêmement riche à Louxor (donc sur le site de l'ancienne capitale pharaonique de Thèbes).
On commence par la visite de trois tombes de la Vallée des Rois.
Avant ça, on aura eu droit à une petite introduction générale par Amr devant l'entrée de la tombe de Ramsès VII (la première tombe découverte dans la Vallée), même si on n'entrera pas dans cette tombe-là (et le guide ne nous accompagnera ensuite dans aucune des tombes — apparemment, ils n'ont pas le droit (lui prétend que c'est parce que les pharaons morts et leurs potes les dieux n'aiment pas trop les guides; peut-être que c'est plus parce qu'on manque singulièrement de place dans les tombes, et qu'il y a beaucoup de gens, et que le genre d'attroupements autour des guides qu'on fait sans problème dans les temples serait un peu plus gênant dans ce cas-là)).
(Photo de Cecilia Camus)
Lorsqu'on entre ensuite dans les tombes de Ramsès IX et de Ramsès III, c'est l'émerveillement. L'univers graphique évocateur qu'on a déjà pu contempler sur les murs des temples, à base de tableaux gravés dans la pierre, où des figures iconiques s'activent sur des plans tapissés de hiéroglyphes, autant de formes d'images qui se complètent pour raconter sur deux modes visuels différents (celui de la représentation pour les tableaux eux-mêmes, celui d'un mélange étonnant de narration verbale et de symbolisme graphique pour les hiéroglyphes), tout cela prend vie (paradoxalement) sur les murs des tombes, parce que dans cet espace souterrain et confiné, les couleurs éclatantes dont ces décorations sacrées étaient parées à leur naissance sont beaucoup mieux préservées. Et donc cet univers (ici complètement eschatologique, avec des suites hiéroglyphiques qui reproduisent des extraits du Livre des morts ou du Livre des cavernes, racontant le cheminement des défunts dans l'après-vie, et des tableaux qui représentent ce même cheminement) devient non plus gris comme la pierre, mais sublimement quadrichromique, comme une immense bande dessinée mystique qui envahit le moindre recoin des murs (et, du coup, nous entoure et nous enveloppe jusqu'au vertige).
(Photo de Mireille Legros)
(Photos de Mireille Legros)
Certains regardent passer les trains. Me voilà en train de regarder les barques solaires qui transportent les doubles éthériques (ou "ka") des morts à travers le Douât, à la rencontre des psychopompes (Thot, Anubis, Osiris, etc.) qui procéderont — et des 42 juges qui assisteront — à la psychostasie (la pesée du cœur du défunt).
(Photos de Mireille Legros)
(Photos de Mireille Legros)
Le reste de la Vallée des Rois nous est surtout apparu depuis le bus, même si on allait rester encore un peu, ce matin-là, dans la nécropole thébaine (qui s'étend sur la rive ouest du Nil en face de Louxor et comprend les vallées creusées de tombes (Vallées des Rois, des Reines, des Nobles et des Artisans) et un certain nombre de temples funéraires) et y revenir le lendemain pour en visiter d'autres coins.
(La deuxième série de photos est de Mireille Legros, et la dernière photo montre de vieilles maisons abandonnées construites du temps où les habitants de la région avait une maison au bord du Nil, et une maison dans la montagne où ils migraient pendant la crue du fleuve, pratique devenue moins nécessaire au fil des constructions de digues pour réguler les crues, et inutile après la construction du premier barrage d'Assouan au tournant du XXème siècle.)
On a enchaîné sur le "temple des millions d'années" de Ramsès III, à Médinet Habou (toujours dans la nécropole thébaine). Ce genre de temples consacrés aux pharaons divinisés qui les ont fait construire est souvent assimilé à des temples funéraires même s'ils n'étaient pas destinés à servir de sépultures. Donc, le temple de Médinet Habou est aussi fréquemment décrit comme "temple funéraire de Ramsès III".
Ce qui frappe, dans l'esthétique de ce temple, c'est les bas-reliefs en creux qui ornent ses murs: les scènes représentées, les hiéroglyphes qui les entourent, sont tous creusés très profondément dans la pierre, de sorte qu'on les voit très distinctement et de loin — et de sorte que les touristes d'aujourd'hui peuvent y enfoncer la main, ce qu'ils font souvent pour la photo (et ce qu'on n'a pas manqué de faire nous aussi). D'après le guide, la fameuse grève des ouvriers de Deir el-Médineh, le village des artisans qui construisaient les tombes et les temples funéraires de la nécropole (fameuse parce que première grève de l'histoire) serait survenue à cause des bas-reliefs en creux de ce temple, qui demandaient plus de travail qu'à l'accoutumée aux ouvriers, mécontents que Ramsès III n'augmentât pas en conséquence les rations alimentaires qui leur tenaient lieu de salaire (d'après le Grand Sage Wikipédia, la cause de la grève était plutôt des retards dans les rations alimentaires, sans rapport particulier avec le temple — mais effectivement pendant le règne de Ramsès III; s'il y a un aimable égyptologue dans la salle pour trancher entre Amr et Wiki...)
On peut noter aussi que les deux cours qui suivent l'entrée du temple sont extrêmement bien conservées, avec même des peintures intactes à plusieurs endroits, et que, par contre, les deux salles hypostyles et le sanctuaire sont presque entièrement détruites (sans doute par le grand tremblement de terre de l’an 27 AEC), ne laissant que des pieds de colonnes entre les murs d'enceinte.
(Photos de Mireille Legros)
(Photo de Cecilia Camus)
On nous a ensuite conduits dans un des ateliers de tailleurs de pierre qu'on trouve sur la rive ouest du Nil. Le guide laissait entendre qu'on était à la "Vallée des Artisans", mais on ne verrait les tombes et le village des artisans de la nécropole thébaine que le lendemain, donc je ne sais pas si on était tout près de ce site ou pas.
(Photos de Mireille Legros)
On nous a fait une petite démonstration du travail de l'albâtre...
(Photo de Mireille Legros)
... puis, inspiré par mon tee-shirt, un des vendeurs du magasin attenant a insisté pour me fourguer ce Thot en basalte:
En revenant en bus vers la rive est pour rejoindre le bateau et déjeuner, on s'est arrêté brièvement pour photographier les deux colosses qui se dressent vers la sortie de la nécropole — dont l'un est appelé "Colosse de Memnon" depuis les auteurs de la Grèce antique, en hommage au guerrier troyen mythologique du même nom (calembour délibéré) — mais en réalité, les deux colosses représentent le pharaon Amenhotep III, et ornaient le parvis de son "temple des millions d'années", dont il ne reste pas grand-chose. Le colosse bousillé l'a été par le tremblement de terre de l'an 27 AEC.
Quelques aperçus de Louxor, dont les colosses:
(Photos de Mireille Legros)
(Photos de Cecilia Camus)
La première visite de l'après-midi est celle du gigantesque temple d'Amon-Râ, au cœur de l'immense complexe religieux de Karnak, sur la rive est du Nil (la rive de la ville, par opposition à la rive ouest qui est celle de la nécropole).
Commencé sous Amenhotep Ier puis étendu et enrichi par tous les pharaons suivants au fil des règnes successifs, le temple est devenu une dinguerie (de Ramsès II entre autres) avec plus d'1km² de superficie, et une grande salle hypostyle construite sous Séthi Ier, qui n'a plus de toit mais contient 134 colonnes (d'habitude, il y en a plutôt genre 12, dans les salles hypostyles de temples "normaux").
Pour commencer, voici l'entrée, à laquelle on accède par un dromos (une allée bordée de sphinx (en l'occurrence, des criosphinx, à corps de lion et tête de bélier) qui relie ce temple au temple de Louxor, qu'on verra dans la soirée (l'allée date de 3400 ans, et a été entièrement restaurée plus récemment (fin des travaux en 2021)). Outre les criosphinx, on voit, comme d'habitude, les vastes pylônes, ainsi que, dans ce cas, des colosses représentant Ramsès II (ô surprise) quand on passe les pylônes, et avant les pylônes, sur le côté, un petit monument musulman (je crois que c'est un mausolée, j'ai mal entendu quand le guide en parlait, et l'Internet a décidé de n'être d'aucune aide pour cette information, donc si vous savez, dites-moi).
Le temple contient aussi des obélisques au background historique intéressant. Des deux qu'on voit ci-dessous, l'un est le seul restant d'une paire d'obélisques érigés sous le règne de Thoutmôsis Ier, et l'autre (celui qui est à demi entouré d'un mur) est le seul restant d'une autre paire, créée sous le règne de sa fille Hatchepsout (qui après la mort de son époux et demi-frère, Thoutmôsis II, est devenue régente de son beau-fils Thoutmôsis III, puis s'est faite couronner et proclamer pharaon, imposant ainsi un règne conjoint à Thoutmôsis III lorsque celui-ci a atteint sa majorité). Après la mort d'Hatchepsout, Thoutmôsis III a présidé à plusieurs campagnes de mutilation des monuments qu'elle a fait bâtir, façon d'essayer d'effacer son statut alors inédit et osé de "femme pharaon" (plutôt que de simple régente), et le mur construit autour de son obélisque à Karnak, pour le cacher, est l'une de ces tentatives de relégation entreprises par le beau-fiston macho et jaloux contre l'héritage de sa belle-mère.
Les deux obélisques vus de la "salle" hypostyle:
L'obélisque de Thoutmôsis Ier:
L'obélisque d'Hatchepsout et son "mur d'enceinte":
... et assis non loin du mur, et de l'obélisque, voici le coupable de l'attentat architectural contre Hatchepsout, son beau-fiston Thoutmôsis III:
Cela dit, Hatchepsout a eu sa petite revanche, non seulement parce que le mur éboulé depuis longtemps ne cache pas du tout son obélisque, mais aussi parce que son autre obélisque effondré a été remis en service en 2023. Il n'en restait que le haut, donc il est plus petit que les deux autres, mais il a été redressé juste à côté du lac sacré du temple (et du monolithe de granit surmonté du scarabé géant Khépri, artefact rescapé du temple des millions d'années d'Amenhotep III (le truc qui devrait s'élever autour des colosses de Memnon) et transféré à Karnak pour... essentiellement que des touristes superstitieux tournent autour, espérant que ça réalisera des souhaits (le nombre de tours dépendant du type de souhait: sept pour trouver l'amour, cinq ou six pour protéger ses proches, ou des choses comme ça)).
Et après les colonnes et les obélisques, comme le temple est gigantesque et semble être sans fin quand on l'arpente, il y a plein d'autres cours, chapelles et antichambres en ruines à explorer:
Derrière le premier pylône, il y a une grande cour bordée, comme l'allée qui mène au temple, de rangées de criosphinx (préférés aux androsphinx à tête humaine parce que le bélier est un animal symbolique associé à Amon-Râ, à qui le temple est dédié).
Enfin, clou du spectacle en ce qui me concerne, j'ai trouvé, à Karnak, le plus ancien smiley du monde:
Après Karnak, le guide nous fit faire une nouvelle pause consumériste, cette fois-ci dans un magasin où l'on fabrique et vend du papyrus. On eut droit à une démonstration brève mais intéressante de la fabrication de ce matériau, puis le harcèlement auquel se livrent systématiquement les commerçants égyptiens leur a permis de me vendre un papyrus où Horus et Hathor contemplent mon prénom en hiéroglyphes, inscrit à l'intérieur d'un cartouche (comme les noms de pharaons sur les murs des temples).
(Photos de Cecilia Camus sauf la troisième: photo de Mireille Legros)
On est aussi passé dans un magasin de bijoux, où les vendeurs, très exceptionnellement, foutaient la paix aux touristes, et où en plus je n'étais clairement pas la cible. Ils avaient un coin avec des bricoles pas précieuses et kitschouilles, donc je leur ai pris un magnet pour le frigo, absurde (Toutânkhamon, portant bizarrement son célèbre masque funéraire, y regarde sa belle-mère Néfertiti, et entre eux il y a les pyramides de Gizeh alors que Toutânkhamon était enterré dans la Vallée des Rois, et que Néfertiti était reine du temps où la capitale était Thèbes, puis Amarna, pas du temps où c'était Memphis) mais d'autant plus rigolo.
Enfin, la journée s'est conclue avec la visite, au coucher du soleil, du temple de Louxor. Comme Karnak (même s'il est bien moins vaste), ce temple est dédié à Amon (sous son double aspect d'Amon-Râ le dieu solaire et d'Amon-Min le dieu ithyphallique), et est l'œuvre de plusieurs pharaons (les parties les plus anciennes datant d'Amenhotep III et de Ramsès II). Il y a des statues géantes de ces pharaons, dont, bien sûr, de Ramsès II. Il y a d'impressionnantes cours péristyles.
Il y a un obélisque devant l'entrée (à l'origine il y en avait deux, mais l'autre est à la Concorde, à Paris, ayant été offert au roi Charles X en 1830 par le souverain musulman Méhémet Ali (qui s'appelle en anglais "Muhammad Ali" comme le boxeur américain, donc les Égyptiens l'appellent en fait, en français, "Mohamed Ali" (ou "Mohamed Ali Pacha" pour le différencier du boxeur). En réalité, les deux obélisques avaient été offerts à Charles X, mais on n'en a finalement transporté qu'un seul en France. C'était suffisamment compliqué et fatiguant. Pas besoin d'un deuxième.
Il y a aussi une mosquée intégrée, à l'intérieur du temple: la mosquée Abou el Haggag, datant de 1244. Elle porte le nom d'un mystique soufi de l'époque, considéré comme un saint local. Sa sépulture s'y trouve d'ailleurs.
Le temple se situe à l'autre bout du dromos qui part de Karnak, et les pharaons célébrait le culte d'Amon (et de la "triade thébaine", composée d'Amon, de son épouse Mout, et de leur fils Khonsu (oui, le dieu de la série Marvel Moon Knight 😛)) en transportant une fois l'an la barque solaire d'Amon du sanctuaire de Karnak à celui du temple de Louxor, en empruntant le dromos. Cette procession est symbolisée aujourd'hui par la reproduction de barque solaire exposée sur le dromos, face au temple.
L'intérêt de nous faire visiter cet édifice en soirée nous est vite apparu au fur et à mesure que le crépuscule s'installait: en effet, à ce moment de la journée, des lampes aux couleurs chaudes commencent à éclairer chaque recoin du temple, sa façade, et les androsphinx qui bordent le dromos, donnant à l'ensemble une aura fantastique qui est ma foi du plus bel effet.
Donc, pour les photos, on va faire trois chapitres:
1 - La mosquée
2 - Statues et colonnes
3 - Lumières crépusculaires sur la façade et le dromos
(Ces trois-là sont de Cecilia Camus)
(Photos de Mireille Legros)
(Photos de Mireille Legros)
(Photos de Cecilia Camus)
... et oui, s'il y a des esprits moqueurs dans mon genre qui se posaient la question, tous les colosses qu'on voit devant le premier pylône, et les deux qui sont assis, dans la "grande cour de Ramsès II", de part et d'autre de l'entrée de la "colonnade d'Amenhotep III", représentent tous Ramsès II (😂!):
(7 photos de moi, puis 1 de Cecilia Camus)
15 avril
Ce jour-là , on allait passer l'après-midi en transit vers le Caire (formalités aéroportuaires, vol (sur un Boeing, donc toute une dangereuse et terrifiante aventure en soi), attente du minibus pour l'hôtel, etc.).
Mais le matin, on est retourné dans la nécropole thébaine.
Premier arrêt: le temple funéraire d'Hatchepsout.
Malgré les importantes dégradations subies (voir plus bas), le temple est somptueux et sa structure extrêmement différente de tout ce qu'on a vu jusque-là. Entièrement en calcaire, pas de pylônes, une structure à degrés avec de vastes terrasses reliées par des volées de marche... Innovations de la part de l'architecte Sénènmout, ou au contraire liberté d'un temps antérieur à une fixation rigide des codes architecturaux religieux égyptiens? Pas vu assez de temples pour avoir une idée informée sur la question, mais en tout cas la pharaonne a un temple indubitablement classe.
Comme on n'avait pas d'hélicoptère ni de drone, je vais, une fois n'est pas coutume, faire appel à un photographe extérieur à notre groupe pour une vue d'ensemble qui paraît quand même indispensable pour prendre conscience de la beauté de cette structure:
Photo de Wouter Hagens, 3 février 2010. Voir Wikimedia Commons.
Les bas-reliefs (qui représentent, entre autres choses, l'installation du peuple égyptien sur les bords du Nil) sont à la fois suffisamment bien préservés pour qu'on trouve çà et là des traces de peinture intacte, et très abîmés, en partie par des dégradations volontaires. Ce n'est pas la première fois qu'on trouve, au cours de ce voyage, des murs de temples vandalisés de la sorte, et d'habitude, les salauds qui ont gratté les reliefs pour les effacer sont plutôt les chrétiens orthodoxes qui investissaient les temples pour en faire des églises ou des monastères, pendant la période romaine et après. Là, c'est plutôt les partisans de Thoutmôsis III qui se sont attaqués au temple de "l'usurpatrice" après sa mort. C'est comme ça que le guide nous l'a expliqué, mais la pratique (de chercher à effacer la mémoire d'une personne réprouvée) est connue dans toute l'Antiquité, et dans l'Égypte antique Hatchepsout en a été une des victimes les plus notoires, avec Akhenaton et sa famille plus tard.
Hatchepsout a par contre son lot de statues osiriaques (coiffée du pschent (la double couronne symbolisant Haute et Basse Égypte réunies) et barbe postiche au menton (un autre attribut pharaonique)), au long des terrasses du temple. Elles ne sont ni aussi omniprésentes, ni aussi maousses que celles qu'affectionnait son lointain successeur Ramsès II, mais cette modestie (relative) est peut-être encore une autre façon d'être classe.
(Ça vient de mon portable. Je ne sais pas qui, de Cecilia Camus ou Mireille Legros, a pris la photo.)
(Photo de Mireille Legros)
(Photo de Cecilia Camus)
La veille, on a vu, avec les colosses de Memnon, à quoi ressemble un endroit où il y a eu un temple et il n'en reste presque plus rien. Là, à côté du temple d'Hatchepsout, on a pu découvrir à quoi ressemble un endroit où il y a eu une pyramide et où il n'en reste plus que des ruines éparses:
L'entrée du temple est gardée par deux androsphinx, dont un au visage peint de façon à être particulièrement expressif (selon le guide, comme si on avait cherché à donner l'impression qu'il est maquillé):
(Photo de Cecilia Camus)
Pour finir cette belle visite, quelques photos d'ensemble avec nous et le temple en fond:
(Je ne sais pas qui m'a pris. C'est avec mon portable.)
Photos de Mireille Legros) -->
Une fois bien éblouis, par le soleil autant que par la splendide création architecturale de Sénènmout, nous avons quitté Deir el-Bahari (la partie de la nécropole où voisinent le temple funéraire d'Hatchepsout, celui de son beau-fils et sa némésis posthume Thoutmôsis III, et celui de leur très lointain prédécesseur Montouhotep Ier) pour nous diriger, en quelques minutes à bord d'un minibus, vers Deir el-Médineh, la vallée où se trouvent le village et les tombes des artisans qui ont construit les temples funéraires de la nécropole et creusé et décoré les tombes des Vallées des Rois, des Reines et des Nobles. (Les mêmes dont je parlais plus haut parce qu'ils ont fait la première grève de l'histoire, sous le règne de Ramsès III (et, d'après notre guide, pendant la construction du temple de Médinet Habou))
Donc, d'abord, pour récapituler un peu ces deux jours à Louxor et visualiser où était quoi, voici une petite carte:
Bon, maintenant, voilà (dans les photos ci-dessous) ce qu'il reste du village des artisans (sachant qu'ils vivaient en permanence dans la nécropole, là où se trouvaient tous les chantiers où ils travaillaient — et n'ayant pas le droit de traverser le Nil pour rejoindre la cité de Thèbes (Amr nous a présenté ça comme une ostracisation des habitants de la rive ouest, la rive pour les morts, par les résidents effrayés/dégoûtés/superstitieux de la rive est, celle des vivants; mais un site sur la question signale qu'il y avait quand même aussi une question de sécurité: les tombes royales étaient la cible constante des pilleurs de tombes, et les artisans de Deir el-Médineh avait la particularité de savoir où elles se trouvaient, et de pouvoir renseigner d'éventuels aspirants voleurs de la rive est)).
(Photos de Mireille Legros)
(Photos de Cecilia Camus)
Mais ce qui est sans doute le plus effarant, à Deir el-Médineh, c'est les tombes des artisans. Parce qu'entre deux chantiers où ils creusaient et décoraient celles des puissants, les travailleurs se sont aussi faits leurs propres tombes, un peu sur le même modèle que celles des pharaons, mais avec beaucoup moins de moyens et de temps, ce qui fait qu'elles sont bien plus petites, et qu'il est plus difficile, pour les explorateurs modernes que nous sommes, d'y circuler...
(Photos de Mireille Legros)
... mais par contre, sur le plan artistique, les artisans de Deir el-Médineh n'ont pas ménagé leur peine pour se faire des "maisons éternelles" aux murs ornés de peintures qui n'ont pas grand-chose à envier à celles de leurs patrons. On peut même dire qu'après avoir été ébloui par le travail et la splendide préservation qu'on trouvait dans les tombes royales, on est peut-être encore plus pantois dans les tombes des artisans, où la préservation des peintures est encore plus parfaite, si bien que dans ces petits caveaux modestes on est enveloppé de couleurs éclatantes qui rendent autant justice à l'imaginaire mythologique vivace des anciens Égyptiens que les plus larges sépultures visitées la veille.
Voici donc des photos que j'ai prises dans les trois tombes d'artisans de l'époque de Ramsès II qu'on a pu visiter, les dénommés Amennakht, Nebenmaat et Khaemteri (seule la dernière photo, de la pancarte qui identifie les propriétaires des tombes, est de Mireille Legros):
Ainsi prit fin notre croisière en Haute-Égypte. Au revoir Amr. Au revoir le Nile Capital. Au revoir Assouan et Louxor, la Nubie et Thèbes (et, au passage, j'ai fini Mort sur le Nil la veille au soir, donc j'ai eu la satisfaction frivole de l'avoir vraiment lu intégralement sur le Nil). La suite et fin de notre séjour allait se dérouler dans la mégalopole du Caire (car oui, je spoile dès maintenant: aucune pièce de notre Boeing n'est tombée en cours de vol, et nous sommes donc arrivés au Caire sans encombre).
(Photo de Mireille Legros)
16 avril
Journée Pyramides!
Un truc étonnant, avec ce voyage, c'est que, d'un côté, il a été complètement improvisé par l'agence qui nous encadrait sur place (elle a totalement chamboulé le programme établi par l'agence de voyages à laquelle on avait eu affaire en France — le contenu est resté le même, mais l'ordre des visites était méconnaissable (le facteur déterminant étant la possibilité de réserver les chambres sur le bateau), et, de l'autre, malgré ce chaos, l'enchaînement des visites a été caractérisé par une grande cohérence chronologique: au fur et à mesure qu'on remontait le Nil, on a remonté le temps par la même occasion, en commençant par visiter des temples ptolémaïques et gréco-romains (333-30 AEC), donc des constructions de la fin de la civilisation pharaonique (Edfou, Kôm Ombo, Philæ), puis on a enchaîné sur Abou Simbel et plusieurs tombeaux et temples de Louxor qui, tous, datent du Nouvel Empire (1550-1069 AEC), terminant en outre cette étape par le temple d'Hatchepsout qui est antérieur aux divers Ramsès visités avant la pharaonne. (La seule exception qui vienne à l'esprit est le temple de Médinet Habou (temple funéraire de Ramsès III) qu'on a visité après avoir visité Abou Simbel (temple de Ramsès II), mais les distances étant ce qu'elles sont, il était difficile de faire autrement.)
Enfin, en terminant le périple par Le Caire, ville tentaculaire qui s'étend autour du site de Memphis (qui était la capitale avant Thèbes), on continue de remonter encore un peu plus loin dans le passé le fleuve du temps. Notamment, après avoir vu les tombes creusées et richement décorées de la Vallée des Rois, on va à présent faire plus ample connaissance avec les pyramides de Gizeh et de Saqqarah, sépultures bien plus vieilles que celles de la nécropole thébaine, puisque là on parle de l'Ancien Empire (2635-2150 AEC). De surcroît, notre nouvelle guide, une égyptologue pétillante prénommée Kariman, va d'abord nous emmener à Gizeh, voir les célèbres pyramides lisses de Khéops, Khéphren et Mykérinos (2589-2503 AEC), et ensuite, on ira à Saqqarah voir la bien plus vieille pyramide à degrés de Djéser (2686-2667 AEC), le pharaon fondateur de l'Ancien Empire. (C'est quand même vachement plus méthodique que les excursions temporelles de Marty McFly et Emmett Brown.)
Déjà, vous vous doutez bien qu'on a commencé par s'extasier, dans le bus qui nous conduisait de bon matin à Gizeh, devant toutes les occasions qu'on avait de voir les pyramides se détacher sur l'horizon urbain cairote, telles les Pyrénées sur la rocade à Toulouse par temps clair:
(Photos de Cecilia Camus, sauf la dernière, de Mireille Legros)
Ensuite, ben nous sommes arrivés au pied de la pyramide de Khéops, surnommée "Grande Pyramide de Gizeh" parce que c'est la plus grande (et c'est aussi la plus vieille, vu que Khéops était le papa de Khéphren et le grand-père de Mykérinos)), et nous avons commencé à mitrailler:
Commentaires:
1) En bon enfant du "high-tech age" et en particulier de Paint (cf. les cartes concoctées plus haut), le phénomène optique qui fait que les pyramides ont l'air lisse de loin et qu'on voit qu'elles le ne le sont pas quand on est collé à elles m'a forcément fait penser aux pixels d'une image numérique. (Mais bien sûr, à l'origine, elles l'étaient vraiment, lisses, du fait d'une fine couche de calcaire blanc (réfléchissante, en plus) qui les recouvrait; mais, comme dit Gaspar Noé, le temps détruit tout.
2) Explication de Kariman sur la présence d'un temple funéraire juste à côté de la pyramide: contrairement à ce qui se passait dans la nécropole thébaine, où les temples funéraires étaient construits un peu dans leur coin tandis que les tombes royales étaient regroupées dans les Vallées des Rois et des Reines, les mégalos de l'Ancien Empire qui se faisaient faire des pyramides faisaient bâtir tout un complexe funéraire autour de leur pyramide, incluant le temple funéraire et, généralement, de plus petites pyramides, ou des tombes moins élaborées, pour leurs proches. Ainsi, Gizeh, en vrai, ce n'est pas juste trois pyramides et un énorme sphinx. C'est tout ça:
MesserWoland french Translation by Moez, CC BY-SA 3.0 <http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/>, via Wikimedia Commons
J'aurai quelques éléments à ajouter à ce propos dans quelques lignes, mais d'abord, c'est l'heure d'un premier instant "photoshoot" des stars du voyage:
(Photo de Mireille Legros)
(Photo de Cecilia Camus)
Comme les deux photos ci-dessus le signalent, qui dit Khéops dit Khéphren, parce qu'autant il a fallu reprendre brièvement le bus pour aller jusqu'à celle du p'tit-fils (Mykérinos), autant fiston Khéphren a vraiment fait construire sa pyramide (dont la couche de calcaire initiale est encore présente au sommet) juste à côté de celle du papa (et, nous a expliqué la guide, sur une parcelle de terrain un peu plus élevée, pour que la pyramide filiale puisse dépasser la pyramide paternelle en hauteur sans être plus grande, façon de ne pas offenser le papa ("tyran cruel" d'après Diodore et Hérodote) en ne surpassant pas son symbole phallique avec un plus gros symbole phallique, mais de quand même le battre à ce jeu puéril sans en avoir l'air. Freud a dû être fan de cette histoire, quand on lui a raconté.
(La dernière photo dans la gallerie ci-dessus est de Sylviane Camus)
Ma mère assise tranquillement avec Khéops:
Ma sœur préfère Khéphren (photo de Mireille Legros):
Elle convainc ma mère:
... qui décide que du coup elle est aussi bien en compagnie du père et du fils en même temps (photo de Cecilia Camus):
Il était possible, en payant un supplément, de pénétrer à l'intérieur de la pyramide de Khéops. Kariman nous a cependant expliqué qu'on n'y verrait pas grand-chose de plus que dans la pyramide "subsidiaire" dont l'entrée était déjà prévue au programme. En effet, si les équipes de Deir el-Médineh ont fait, comme on l'a vu plus tôt, un boulot formidable pour décorer les murs des tombes de la Vallée des Rois, les constructeurs des pyramides avaient, pour leur part, une mission infiniment plus longue, difficile, un véritable enfer logistique, une tâche de nombreuses années qui a dû tuer d'épuisement beaucoup de travailleurs. Donc autant dire qu'une fois que c'était fini, la déco, ils s'en foutaient un peu. L'hommage au dieux, au Nil céleste, à la splendeur de l'après-vie, c'était déjà accompli du simple fait d'avoir fait surgir de terre ces immenses machins impossibles. Pas besoin, en prime, d'en couvrir les murs de bas-reliefs sublimes et de peintures multicolores.
On n'est donc pas entré dans la Grande Pyramide (ni dans celles de Khéphren ou de Mykérinos), mais dans une micro-pyramide attenante à celle de Khéops: celle de la reine Hétep-Hérès Ière, épouse du pharaon Snéfrou et mère de Khéops (voir le plan de Gizeh reproduit plus haut).
(Photo de Cecilia Camus)
Faut espérer que c'était un peu plus soigné au départ et que c'est là encore les ravages du temps qui l'ont mise dans cet état, parce que si en plus d'être un "tyran cruel" et un père flippant et mesquin pour Khéphren, Khéops était aussi un fils ingrat et indigne, ça va commencer à faire beaucoup pour un seul homme, fût-il pharaon.
Je vous disais, le jour d'avant, qu'il n'était pas évident de circuler dans les tombes des artisans de Deir el-Médineh. Bah c'est rien à côté de cette pyramide, dont la visite est littéralement une épreuve de force et d'équilibre. J'en ai ré-émergé avec le palpitant bien affolé (et le crâne douloureux de m'être cogné partout).
(Mélange de photos de Cecilia Camus et de Mireille Legros, à l'évidence)
Et effectivement, quand on arrive au bout, on se sent dans un caveau, un vrai, et pas dans un de ces salons raffinés que s'aménageraient plus tard les pharaons thébains en guise de tombes:
(Une photo de Cecilia Camus; une autre d'un co-explorateur anonyme et serviable)
Après, on a bien sûr complété notre visite du plateau de Gizeh avec un tour de reconnaissance (et de mitraillage) autour de la pyramide de Mykérinos, alias "Scarface" (ce n'est, bien entendu, pas un surnom officiel, c'est moi qui vient de décider de l'appeler comme ça, car oui, c'est la pyramide balafrée (par les Mamelouks au Moyen-Âge, qui ont creusé une bonne partie de cette énorme brêche dans la face nord, en essayant de mettre au jour l'entrée — destruction poursuivie, dans le même but, par les égyptologues britannique et italien Richard William Howard Vyse et Giovanni Battista Caviglia, au XIXème siècle, Caviglia faisant même péter une partie de la façade à la poudre à canon pour creuser un tunnel vers une des chambres intérieures — maintenant on peut se dire que ça donne une bonne bouille à cette pyramide, et que c'est sympa qu'entre le sommet de calcaire non érodé de celle de Khéphren et la balafre de celle-là, l'Histoire ait ainsi donné de la personnalité à ces bâtiments faits à l'origine pour tous se ressembler; mais n'empêche que tous ces "explorateurs" aux méthodes bourrines étaient une belle bande de connards)):
(30 photos de moi, puis 3 photos de Mireille Legros, puis 1 de Cecilia Camus)
On ne nous a pas du tout proposé d'entrer dans celle-là. À en croire Wiki, c'est dommage — car, contrairement aux pyramides de ses prédécesseurs, celle de Mykérinos aurait une architecture intérieure un peu plus élaborée et intéressante, une sorte de début de tentative de sculpter rudimentairement un genre de décor de palais. Que cette occasion manquée n'empêche personne de sourire jusqu'aux oreilles en découvrant cette magnifique photo de famille avec Scarface en fond:
(Photo de Mireille Legros)
À l'évidence, on a aussi rendu visite au Sphinx de Gizeh, le célèbre et gigantesque androsphinx en calcaire que l'on sait, avec sa tête censée représenter Khéops ou Khéphren, selon les interprétations (mais sans son nez, merci le soufi iconoclaste médiéval Mohammed Sa'im al-Dahr (plutôt qu'Obélix, Napoléon ou les Mamelouks)), et qui aurait été, en tout cas, construit sur ordre de Khéphren. Directement sculpté dans un bloc monolithique d'environ 20 000 tonnes, plus vieille statue géante connue d'Égypte, plus grande statue monolithique du monde, avec qui plus est deux petits temples devant ses pattes avant, le Temple du Sphinx et le Temple de la Vallée de Khéphren (par lequel on est passé pour monter sur un promontoire d'où on pouvait se prendre en photo devant la bestiole).
(11 photos de moi et 13 photos de Mireille Legros mélangées)
(Si je me souviens bien, ces deux photos viennent du portable de Cecilia Camus, elle a pris la photo de moi et j'ai pris la photo d'elle)
Enfin, avant de quitter Gizeh, on nous a permis un arrêt de bus stratégiquement placé pour pouvoir prendre des photos panoramiques des trois pyramides ensemble, parce que merde, quoi, quand même:
...et j'ai même réussi à en prendre une avec les trois pyramides et un bâtiment qui, au même titre que la stèle avec le smiley à Karnak (voir plus haut), pourrait légitimement être postée au sein de l'amusant groupe Facebook "Thing with Faces":
Comme il était midi et demie, et comme le petit déjeuner datait de 6h du mat', on aurait pu penser que la prochaine étape serait le restaurant. Pas du tout! La suite, c'était 1h30 de visite sur le site de ce qu'il reste de Memphis.
Par conséquent, il s'agissait d'une petite embardée dans l'harmonieuse remontée chronologique du temps le moins ancien au temps le plus ancien que je décrivais plus tôt. En effet, si Memphis était bien la capitale de l'Ancien Empire, elle est restée importante par la suite (quand Thèbes est devenue capitale au Moyen Empire) et elle a même repris le statut officiel de capitale dans la deuxième partie du Nouvel Empire, sous le règne de Toutânkhamon, après que son père Akhenaton a essayé de fonder sa propre nouvelle religion et sa propre capitale (Amarna/Akhetaton) — mais on a vu que Toutânkhamon et les pharaons ramessides qui ont suivi (ceux qui s'appelaient presque tous Ramsès) étaient quand même très thébains, notamment dans leurs préférences nécropolitaines.
Il n'en demeure pas moins que, du coup, le petit musée à ciel ouvert qu'on visite aujourd'hui quand on va "voir Memphis" contient des vestiges de plusieurs époques, une sorte de petit bric-à-brac où l'on s'est promené en plus assez vite, essayant tant bien que mal d'attraper les explications d'une guide qui, je l'ai dit, est pétillante.
- un colosse à l'effigie de Ramsès II (ouais, ouais, encore un... on vous ment pas, quand on vous dit que c'était une obsession, chez lui):
- la triade des divinités tutélaires de Memphis (à Edfou, c'était Horus, sa femme Hathor et leur fils Harsomtous, à Thèbes, c'était Amon, sa femme Mout et leur fils Khonsu; là, c'est Ptah, sa femme Sekhmet et leur fils Néfertoum) (ou alors, potentiellement, c'est Ramsès II qui s'est fait représenter avec Ptah et Sekhmet — il y en a aussi, des comme ça):
- un beau et massif sarcophage de pierre gravée, dont j'ai été bien incapable de saisir le nom du propriétaire, si tant est qu'il nous ait été communiqué (des internautes affirment qu'il s'agit de "Imen Hetep Hwi", mais comme une recherche sur ce nom ne donne rien, je ne saurais être plus affirmatif ou plus informatif):
- des statues, stèles, bouts de colonnes et débris divers:
- les restes d'une statue de personne de petite taille (Kariman a mis un point d'honneur à nous signaler le nanisme du modèle, et à nous vanter le statut social et la révérence dont ces personnes jouissaient dans l'Égypte antique):
- et encore un immense Ramsès II (non, non, je plaisante pas):
Après s'être (enfin) restauré
(à 14h),...
...on est remonté dans le bus et on a mis le cap sur le plateau de Saqqarah, la plus ancienne partie de la nécropole de Memphis, qui s'est ensuite étendue au plateau de Dahchour, puis à celui de Gizeh.
(Photos de Mireille Legros)
(Photos de Mireille Legros)
(Photos de Sylviane Camus)
D'après Kariman, on aurait pu passer une journée entière rien qu'à explorer Saqqarah. Mais à ce moment (15h30) on n'avait pas une journée entière (d'autant qu'à peu près tous les sites ferment vers 17h, au Caire), donc on a seulement visité le complexe funéraire de Djéser, c'est-à-dire qu'on a tourné à marche forcée autour de la pyramide de Djéser (le premier pharaon de l'Ancien Empire, et sa pyramide (œuvre d'Imhotep, le vizir de Djéser, sorte de super-génie à la fois architecte et médecin qui fut plus tard divinisé) est la première pyramide (avant, les monarques égyptiens étaient enterrés sous des bâtisses funéraires de taille plus raisonnable, les mastabas, dont la base était déjà un peu plus large que le toit, donc qui peuvent déjà être vues comme des brouillons des pyramides pour ce qui est de la forme).
Eh oui, la première pyramide, et celles qui ont suivi, n'étaient pas lisses du tout: elles avaient une forme à degrés — comme si on avait entassé plusieurs mastabas de plus en plus petits les uns sur les autres, en fait, et c'était sans doute un peu l'idée. C'est Snéfrou, plus tard, qui va essayer tant bien que mal de faire bâtir des pyramides lisses, dont une ratée à Dahchour, la pyramide dite "rhomboïdale", une bricolée après-coup à partir d'une structure à degrés à Meïdoum, et une réussie, enfin, à Dahchour.
Mais bon, là, on est toujours du temps de Djéser, y a des degrés, et on tourne autour.
On parle de "complexe funéraire" parce que, bien sûr, comme pour celles de Gizeh, il n'y a pas que la pyramide: il y a autour, d'autres bâtiments construits pour compléter la pyramide: des temples, des tombes subsidiaires...
(14 photos de moi, puis 4 photos de Mireille Legros)
... un "serdab", ou "tombeau du ka" de Djéser (le ka, pour rappel, c'est le "double éthérique" du défunt qui voyage sur la barque céleste pour aller se faire peser le cœur par Anubis, Osiris et compagnie) (le serdab étant une construction spécifique à l'Ancien Empire, un genre de petite chambre scellée et aveugle contenant une statue du défunt, censée représenter son ka) (on n'a pas pu (parce qu'on n'est pas doué) bien photographier la statue, à travers le tout petit œilleton creusé dans le mur du serdab de Djéser, mais ce n'est pas très grave puisqu'à l'heure actuelle, c'est une copie, qui s'y trouve; la vraie statue de Djéser initialement trouvée dans le serdab est aujourd'hui au musée de la place Tahrir qu'on allait visiter le lendemain)...
(La première tentative de photographier la statue est la mienne, la seconde celle de Mireille Legros. Les autres photos sont de moi.)
... un mur d'enceinte qui entoure le complexe, et dont la porte fait passer les visiteurs dans un couloir hypostyle pour pouvoir rejoindre la "cour" désertique où trône la pyramide...
Enfin, on a pu prendre des photos des deux entrées de la pyramide (une, au nord, creusée à l'époque de Djéser et menant directement à la chambre funéraire souterraine (ce qui accrédite l'idée que la pyramide était conçue, à l'origine, comme un mastaba, et que son évolution vers une nouvelle forme plus monumentale est venue après), et l'autre, au sud, creusée vers la fin de l'histoire de l'Égypte pharaonique, par les saïtes, une des dynasties de la Basse Époque. Aucune de ces entrées n'est ouverte au public, pour des raisons de sécurité (forts risques d'éboulement, travaux de restauration en cours depuis très longtemps) sauf que — témoigne Kariman, parce qu'elle était invitée, ou embauchée comme guide, ou les deux — une fois où des représentants de Christian Dior sont venus organiser un défilé de mode au Caire, les autorités les ont laissé entrer sans problème. 🙄
(3 photos de l'entrée nord par Mireille Legros, puis 2 photos de l'entrée sud par moi, puis deux autres photos de l'entrée sud par Mireille Legros)
17 avril
Alors, là, pour le coup, en ce dernier jour de visite du centre-ville cairote avant de quitter le sol égyptien, mon histoire de remontée méthodique dans le temps, des Ptolémée à Djéser puis pourquoi pas au roi Scorpion, est complètement explosée. Parce que là, on va commencer en plein Moyen-Âge musulman, pendant les Croisades, avec un saut au XIXème siècle en prime (en visitant la citadelle de Saladin), puis on va se promener sur un fil entre domination romaine et chrétienne et conquête musulmane (en déambulant dans le quartier copte), puis on finira dans le "Musée égyptien du Caire", place Tahrir, qui nous ramène aux pharaons, mais qui part beaucoup plus dans tous les sens que le musée en plein air de Memphis.
Donc, le bus a commencé par nous lâcher, de bon matin comme toujours, devant le robuste mur fortifié de la Citadelle du Caire, alias la Citadelle de Saladin, puisque c'est ledit Saladin, vizir fatimide d'Égypte de 1168 à 1174, puis premier Sultan ayyoubide d'Égypte et de Syrie de 1174 à 1193, qui a fait construire cette vaste forteresse (entre 1173 et 1183) pour protéger la ville du Caire, puisqu'il était en guerre contre les croisés un peu tout le temps.
(6 photos de moi, puis 2 photos de Cecilia Camus ou Mireille Legros)
On a ensuite passé deux ou trois longues heures, me semble-t-il, à déambuler dans les rues modernes qu'encercle le mur d'enceinte médiéval, d'un site de visite à l'autre, dans un décor rappelant beaucoup nos propres villes fortifiées, avec parfois des formes un peu différentes qui rappellent qu'on parle du Moyen-Âge arabo-musulman dans ce cas-là (voire, pour la première photo ci-dessous, de l'Afrique du nord pas vraiment médiévale), et, notamment, la présence de plusieurs mosquées d'époques diverses à l'intérieur de la citadelle.
Il faut dire qu'il y a beaucoup de choses à visiter, dans la Citadelle, et qu'on en a vu, en fait, qu'une infime partie:
GD-EG-Citadelle_du_Caire-map.png: Néfermaâtderivative work: Malyszkz, CC BY-SA 2.5 <https://creativecommons.org/licenses/by-sa/2.5>, via Wikimedia Commons
On a vu passer certains de ces bâtiments, dans lesquels on n'est pas entré...
... et j'avoue que je ne suis pas mécontent d'avoir zappé le musée de la police! (Ⓐ😛) ... même si bon, on a vu l'ancienne prison et une partie du musée militaire, donc je n'aurai pas complètement échappé à ce genre de trucs... 😒
La première visite qu'on a faite au sein de la citadelle était celle de la mosquée de Suleiman Pacha, première mosquée ottomane d'Égypte (L'empire ottoman ayant pris le contrôle du pays en 1517, et Hadim Suleiman Pacha, le commanditaire de la mosquée, a été vice-roi d'Égypte entre 1525 et 1535, et entre 1537 et 1538. Quant à la mosquée elle-même, elle date de 1528, et est ma foi fort jolie):
Bon, après, on a débouché face à un grand square, avec en fond l'ancien palais-harem de Méhémet Ali, devenu musée militaire depuis 1949. On n'est pas entré, mais Kariman nous a laissé musarder dans le square et dans une partie plein-air du musée qui se trouve sur le côté, et bon, ça suffit à rappeler — pour l'étourdi qui n'aurait pas remarqué l'omniprésence des uniformes un peu partout tout au long du séjour — l'ambiance politique du pays.
Enfin, sur le square, ça commence très soft, très patrimonial, avec des vieux canons, et des statues à la gloire des deux plus célèbres présidents de l'histoire du régime militaire actuel (Nasser et Anouar el-Sadate), ainsi que d'un chef de guerre emblématique plus ancien (XIXème siècle), le bras armé de Méhémet Ali, son fils, général et successeur sur le trône d'Égypte, Ibrahim Pacha...
... Après, par là, ça fait plus Kim Jong Un que Toutânkhamon:
(1 photo de moi, puis 1 de Mireille Legros, puis 4 de Cecilia Camus)
En plus, on a enchaîné sur la prison (sur la carte ci-dessus, elle est située du côté de la mosquée de Méhémet Ali et du palais el-Ablaq, même si je ne sais pas exactement où). C'est une vieille prison militaire du XIXème siècle, ouverte sous Ismaïl Pacha, le fils d'Ibrahim et petit-fils de Méhémet, qui a régné de 1863 à 1879, mais les parties les plus récentes ont été terminées en 1882, et la prison n'a effectivement fermé pour devenir un musée qu'en 1984.
(3 photos de moi, puis 3 photos de Mireille Legros ou Cecilia Camus, puis 5 photos de moi)
Et, là encore, que du bon goût (🙄):
(Photo de Mireille Legros ou Cecilia Camus)
Bon, après, c'est fini, les talons de fer et les bruits de bottes, et comme disait PPDA dans feu Les Guignols de l'info, on reprend une activité normale. Plus précisément, on monte encore une ou deux marches vers une autre terrasse, pour se retrouver à l'endroit qui est intitulé, sur la carte ci-dessus, "point de vue". Car effectivement, il s'agit d'un point où on a une vue imprenable sur l'étendue de la cité tentaculaire qu'est, aujourd'hui, le Caire. En même temps, en circulant en bus sur leurs douze-voies interminables aussi embouteillées qu'une quatre-voies française à l'heure de pointe, on s'est bien douté que ce n'était pas à proprement parler une bourgade. Mais vu du dessus (par exemple des remparts d'une citadelle qui surplombe la ville), on a toujours une meilleure idée.
Les deux mosquées qu'on voit collées l'une à l'autre au premier plan (elles ne sont en fait séparées que par une ruelle étroite et piétonne) sont:
- à gauche, la mosquée du sultan Hassan, construite entre 1356 et 1363 sur l'ordre du sultan mamelouk An-Nâsir al-Hasan (qui a régné sur l'Égypte de 1347 à 1351, puis de 1354 à 1361, avant d'être assassiné). Elle contient une madrassa (école coranique).
- à droite, la mosquée Al-Rifa'i, ou "mosquée royale", construite au XIXème siècle et contenant les tombes de monarques de la dynastie de Méhémet Ali, ainsi que celle du Shah d'Iran (qui s'était réfugié en Égypte après la révolution iranienne).
Tiens, d'ailleurs, puisqu'on parle de mosquées, la suite (et fin) de la visite de la Citadelle, c'en est une, justement (ben oui, le Caire est surnommé "la ville aux mille mosquées" (avec cette précision de la guide que le surnom date, et qu'aujourd'hui il y en aurait plutôt dix mille), donc bon, y a de quoi visiter).
Plus précisément, il s'agit de la "mosquée d'albâtre", ou "mosquée Mohammed-Ali", bâtie pendant la période entre 1830 et 1848, sur ordre du monarque déjà mentionné soixante fois dans les lignes précédentes, fondateur de la dernière dynastie royale d'Égypte (les Alaouites (1805-1953)), et qui semble bien (la mosquée) être de loin la plus fameuse "attraction" de la Citadelle de Saladin. Et il faut bien reconnaître qu'elle est assez waouh.
(Un mélange de 6 photos de Cecilia Camus ou Mireille Legros et 10 photos de moi)
Au passage, la jolie tour d'horloge ouvragée que voici (et dont Kariman a précisé que l'horloge n'a jamais fonctionné (alors que maintes coupures de presse assurent qu'elle fonctionne enfin depuis la restauration de la tour en 2021😉) a été offerte en 1845 à Méhémet Ali par Louis-Philippe, cadeau fait à l'Égypte en retour de l'obélisque de Louxor offert par le même Méhémet Ali à Charles X en 1830 (voir plus haut):
(Photo de Cecilia Camus ou Mireille Legros)
Et par la même occasion, Louis-Philippe a aussi offert le lustre qui trône au centre du tableau féérique que dessinent, à l'intérieur de la mosquée, ombres et lumières, vitraux et coupoles:
(1 photo de moi, puis 10 photos de Cecilia Camus ou Mireille Legros, puis 5 photos de moi)
Notre tour de la Citadelle terminée, le bus nous a récupérés et conduits à ce que les agences touristiques appellent le "quartier copte", ce que les sites Internet spécialisés ont l'air d'appeler plutôt le "Caire copte", et ce que notre guide préfère appeler "le complexe religieux".
(Argumentaire de la guide: 1°) d'abord, y a pas que des églises, dans ce quartier, y a aussi une synagogue, et la plus vieille mosquée d'Égypte; et 2°) "copte" ne désignait pas, au début, les chrétiens d'Égypte, comme aujourd'hui; c'était juste le terme employé par les Arabes, quand ils ont conquis l'Égypte, pour désigner les autochtones, descendants plus ou moins directs des Égyptiens de l'Antiquité pharaonique (la comparaison avec leur langue, le copte, a ainsi permis à Champollion de déchiffrer les hiéroglyphes) — et ils étaient majoritairement chrétiens à l'époque de la conquête arabe, mais le terme ne faisait pas référence à leur religion.) (Mais bon, depuis, l'"Église copte" a été créée; c'est une des
églises orthodoxes orientales, avec son pape (Tawadros II) à Alexandrie; en général les chrétiens d'Égypte en font partie; et le terme n'est plus utilisé couramment que pour parler d'eux.)
(1 photo de moi, puis 2 photos de Mireille Legros, puis 1 de Cecilia Camus)
Le quartier copte est la partie la plus ancienne du Caire, déjà colonie perse au VIème siècle AEC, plus tard site d'une forteresse romaine (le nom de "Babylone" a été apparemment donné à la
colonie perse puis à la
forteresse romaine).
(7 photos de moi, puis 1 de Cecilia Camus, puis 2 de Mireille Legros)
La communauté était voisine de la ville d'Héliopolis du temps des Ptolémées, ainsi que de Fostat, la première capitale arabe d'Égypte, fondée en 641 EC (le quartier copte fait maintenant lui-même partie de Fostat, et Fostat et Héliopolis sont devenus des quartiers du Caire). Quand l'Égypte a été massivement convertie au christianisme (quoique clandestinement au début), pendant l'époque romaine, par l'évangéliste Marc, installé à Alexandrie, le coin de "Babylone" a vu se construire un grand nombre d'églises.
Il y en a encore beaucoup à visiter, datant d'époques diverses, et c'est principalement de ces églises orthodoxes très anciennes qu'on parle quand on dit qu'on va visiter le quartier copte.
En tout cas, nous, on a vu, pas nécessairement dans cet ordre:
- L'Église Sainte-Marie (Sitt Mariam), surnommée "église suspendue" ("Al-Kanîsah al-Mu'allaqah"), parce qu'elle est bâtie en hauteur, au-dessus des murailles romaines de la forteresse de Babylone. Elle date du VIIème siècle EC, mais a été bâtie sur l'emplacement d'une église antérieure, qui, elle, datait du IVème siècle:
(5 photos de moi, puis 1 de Cecilia Camus, puis 4 de moi, puis 1 de Cecilia Camus, puis 2 de moi, puis 1 de Cecilia Camus, puis 3 de moi, puis 1 de Mireille Legros, puis 52 de moi, puis 2 de Cecilia Camus, puis 2 de Mireille Legros)
- L'Église des Saints Serge et Bacchus ("Abou Serga") ou "église dans la grotte", datant aussi du IVème siècle, et qui a supposément été construite à un endroit où Joseph, Marie et le bébé Jésus se seraient réfugiés pour échapper au massacre des nouveaux-nés commandité, en Judée, par Hérode Ier (selon l'épisode de l'Évangile selon Matthieu connu sous les "titres" de "massacre des innocents" et "fuite en Égypte"). La "grotte" qui donne son surnom à l'église est la crypte souterraine censée être la caverne où la "Sainte Famille" aurait séjourné, et Serge et Bacchus, les saints/martyrs éponymes, étaient des officiers romains, secrètement chrétiens, et torturés et tués en 300, en Syrie, pour avoir refusé de prendre part à un sacrifice en l'honneur des dieux romains.
(12 photos de moi, puis 1 de Mireille Legros, puis 19 de moi, puis 1 de Mireille Legros)
- L'Église Saint-Georges, ou "Mar Girjis", est une large église construite en hauteur (surplombant le monastère Saint-Georges, dont elle fait partie), à l'origine au sommet d'une tour romane ronde. C'est pour ça qu'elle est de forme circulaire (et c'est la seule église de cette forme en Égypte). Elle date du Xème siècle, mais a été reconstruite au XIXème, et aussi, après un incendie, entre 1904 et 1909. Elle est dédié à Georges de Lydda, martyr très populaire au Moyen-Orient, exécuté en 303 à la suite d'un décret de Dioclétien interdisant la pratique du christianisme. Et la décoration intérieure de cette église et un peu singulière, par rapport aux autres églises du quartier copte, et assez magnifique.
(1 photo de Cecilia Camus, 4 de moi, 1 de Mireille Legros, 13 de moi, 1 de Cecilia Camus, 1 de Mireille Legros, 6 de moi, 1 de Cecilia Camus, 1 de Mireille Legros, 1 de Cecilia Camus, 11 de moi)
On est aussi allé dans l'Église Sainte-Barbe, du nom de Barbe d'Héliopolis, une autre martyre de l'époque de Dioclétien et Maximien (l'église, quant à elle, date du Vème ou VIème siècle (et a été elle aussi reconstruite plusieurs fois, dont au XIème)...
(3 photos de Mireille Legros, puis 1 de Cecilia Camus)
... et ce n'est pas tout, puisqu'on est passé dans un sympathique corridor étroit en plein air mais couvert, où les murs servaient d'étal à un bouquiniste, mais trop vite pour que je puisse acheter certains des trucs intéressants ou amusants qui s'y trouvaient (pourtant il y avait un traité d'Ancient Egyptian Black Magic (à la couverture jaune pas très numineuse 😁) au milieu de livres de photos sur des stars égyptiennes ou moyen-orientales, ou de vulgarisation de l'histoire et de la géopolitique du coin), et surtout on a aussi brièvement visité la synagogue susmentionnée (la synagogue Ben Ezra, essentiellement construite en 1892, sur le site d'une synagogue précédente (censée "remonter" à Moïse😁) dont des parties demeurent), mais il nous était interdit de prendre des photos... 👎
... puis on a déjeuné, là encore tardivement.
Et on a ensuite enchaîné sur ce qui serait l'ultime visite de ce voyage: le Musée Égyptien, situé place Tahrir, inauguré en 1902, et contenant cent pièces réparties sur deux étages, et débordant de 160 000 objets, tout ça avec une guide dont j'ai déjà évoqué l'énergie débordante, et qui s'était encore une fois mise en tête de tout nous montrer en trop peu de temps, quitte à ce que les explications soient expédiées. Mais cette fois-ci, il y avait un élément perturbateur supplémentaire: nous étions équipés de casques audio fournis par le musée, et reliés à un micro que portait Kariman, ce qui permettait (en théorie) de ne pas perdre une miette de son commentaire expert, malgré la course folle à travers le musée. En théorie seulement, car ces appareils se sont révélés extrêmement dysfonctionnels, et plutôt que de ne pas perdre une miette, on était déjà bien content quand on attrapait une bribe.
(2 photos de Cecilia Camus, puis 1 de moi, puis 3 de Cecilia Camus)
Voici donc des bribes:
Alors, d'abord, l'entrée, dont vous pouvez déjà voir ci-dessus qu'elle est notamment décorée par une grande fontaine au centre de laquelle sont assis deux androsphinx de granit rouge (découverts à Karnak, et affublés du visage de Thoutmôsis III), tandis qu'entre eux se dresse un obélisque orné du cartouche de Ramsès II, et découvert dans les ruines de la ville de Tanis (dans le delta du Nil, capitale égyptienne pendant la IIIème période intermédiaire, entre le Nouvel Empire et la Basse-Époque):
(Photo de Cecilia Camus ou Mireille Legros)
... et ce n'est pas tout: quand on s'approche de l'entrée principale, on passe à côté d'un (je vous le donne en mille) colosse représentant Ramsès II (😂), cette fois-ci dans une nouvelle fonction de porte-étendard (il savait tout faire, ce Ramsès):
Ensuite, comme on peut déjà le voir sur deux des photos ci-dessus, l'atrium par lequel on pénètre dans le bâtiment, et plusieurs autres pièces aussi, contiennent beaucoup de sarcophages, trop pour qu'on puisse vraiment identifier la plupart des propriétaires (du moins quand on a une guide speed et qu'on n'entend rien de ce qu'elle dit pour les raisons susmentionnées):
Elle a tout de même pris le temps de nous signaler le sarcophage de granit d'une petite personne, et de nous rappeler, comme à Memphis, le statut social élevé, privilégié, révéré dont ce groupe jouissait dans l'Égypte antique (par contre, ce sont des sources en ligne qui me précisent que le propriétaire s'appelait Takho et était enterré à Saqqarah, dans la tombe d'un homme décrit comme son "maître" ou son "mécène"):
Autre artefact intéressant, la palette de Narmer, une palette à fard en schiste vert, datant de la fin du quatrième millénaire AEC (donc de la Ière dynastie, avant l'Ancien Empire, dans la période dite "thinite") et plus ancienne évocation de l'unification des deux Égyptes par le fondateur de la Ière dynastie (Narmer), devenu ainsi le premier pharaon:
(Photo de Cecilia Camus ou Mireille Legros)
Le musée contient aussi la statue du ka du pharaon Djéser (la vraie, cette fois-ci, pas la réplique qui l'a remplacée dans le serdab, à côté de la pyramide de Djéser, et que, la veille, à Saqqarah, on n'arrivait pas à voir distinctement (ni à photographier) à travers l'œilleton percé dans le serdab):
Deux colosses de granit de l'époque ptolémaïque se font face: l'un représente un seigneur du nom d'Horemheb, qui était à la tête de Naucratis, une colonie portuaire grecque, et l'autre représente un roi (mais apparemment non identifié (le site du musée ne le nomme pas, en tout cas)):
À l'évidence, il y a aussi un colosse représentant Ramsès II:
Étonnamment, par contre, quand on tombe sur Khéops (pourtant le mec de la Grande Pyramide de Gizeh), c'est sous forme de statuette lilliputienne (en ivoire, découverte à Abydos, dans un temple d'Osiris):
(Photo de Cecilia Camus ou Mireille Legros)
... alors que son fiston, Khéphren, celui de la pyramide moins grande mais plus haute, y va cette fois plus franchement, dans son active bataille staturale avec le papounet (sa statue à lui est en diorite et a été trouvée dans son temple de la vallée, à Gizeh):
Un colosse trouvé à Karnak, à l'effigie de Sésostris III, pharaon du Moyen Empire (donc entre l'Ancien et le Nouvel Empire):
Aussi, sans doute en attendant que les receleurs du British Museum daignent enfin rendre la vraie à l'Égypte, le musée de la place Tahrir expose une réplique de la pierre de Rosette:
Une fausse porte de calcaire peint, qui faisait partie de l'aménagement d'un mastaba à Saqqarah, tenant lieu de sépulture à Tepemankh II, qui fut prêtre de Khéops et de Mykérinos, et prêtre purificateur des pyramides de Snéfrou, Khéphren, Mykérinos, Ouserkaf et Sahourê (de telles fausses portes avaient pour but de servir de "vraie" porte au "ba" du défunt (une manifestation immatérielle post-mortem type "âme", distincte du ka)):
C'était en fait un élément architectural assez courant, dans les mastabas, les fausses portes. Il y en a, en conséquence, un nombre important dans le musée. En voilà une autre que j'ai photographiée, même si je ne sais pas du tout d'où elle vient:
Une étrange coutume de ces cinglés belliqueux qu'étaient les pharaons consistait à se faire sculpter de petites têtes représentant des prisonniers de guerre, pour les exposer aux fenêtres de leurs quartiers royaux, ou les placer de façon à souvent marcher dessus, pour piétiner symboliquement des visages d'ennemis vaincus. D'après le panonceau explicatif du musée, les deux têtes de diorite montrées ci-dessous ont été trouvées à Saqqarah, dans le couloir hypostyle par lequel on entre dans le complexe funéraire de Djéser, et elles faisaient sans doute partie d'un seuil (dans le but évoqué à la phrase précédente). Il n'y a pas de détails sur la provenance ou la fonction des deux rangées de têtes alignées derrière:
Les triades de Mykérinos sont trois groupes statuaires trouvés dans le temple de la vallée du complexe funéraire de Mykérinos (donc bâti non loin de sa pyramide, à Gizeh). Elles représentent, toutes les trois:
- Mykérinos au centre, coiffé de la couronne blanche de la Haute-Égypte
- la déesse Hathor à gauche
- la personnification d'une des provinces de l'Égypte antique (appelées "nomes"), une différente pour chaque triade
L'idée est, d'après le panonceau du musée, d'exprimer les souhaits de Mykérinos (fertilté et résurrection de la part d'Hathor, offrandes diverses de la part des nomes)
Ouserkaf est le père et prédécesseur du pharaon Sahourê, et fils et successeur (avec peut-être un autre gars du nom de Djédefptah entre les deux, mais c'est pas sûr) de Chepseskaf, qui est lui-même le successeur (mais on ne sait pas si c'est son fils) de Mykérinos. C'est sous le règne d'Ouserkaf que le culte de Rê a pris de l'ampleur au point qu'il devienne le dieu principal de la religion de l'Égypte antique. Ce pharaon a fait construire à Abousir, près de Saqqarah, un temple solaire, le premier du genre (à la fois complexe funéraire royal, édifice religieux dédié au culte royal, et, j'imagine, inspiration involontaire du nom débile d'une secte moderne de triste mémoire). Voilà sa tronche, en grauwacke, avec la couronne rouge de la Basse-Égypte (et trouvée en 1957, dans son temple solaire):
Beaucoup de statues de scribes (parce que c'était prestigieux), voire, dans l'Ancien Empire, des statues commandées par des seigneurs, des nomarques ou autres personnages importants, qui se faisaient dépeindre en scribes par les sculpteurs, pour décorer leur tombe — l'idée étant que la lecture et l'écriture étaient des compétences réservées aux élites, et qui faisaient donc particulièrement bien sur un CV pour un défunt qui voudrait conserver un statut social élevé dans l'après-vie. Ouaip, des plans de carrière post-mortem. Si ça, c'est pas du masochisme cosmique...
- en haut, un scribe non identifié en calcaire peint, au milieu de deux de ses collègues, dont, à droite, une effigie en granit gris (trouvée à Saqqarah) d'un dénommé Nimaatsed
- en bas, au centre et à droite, statue en bois de sycomore (avec des yeux en cuivre et cristal de roche) d'un scribe et prêtre de l'époque d'Ouserkaf, nommé Ka-âper (la statue a été découverte dans son mastaba, à Saqqarah)
(Photo de Cecilia Camus ou Mireille Legros)
(Photo de Mireille Legros ou Cecilia Camus)
Autres statues de l'Ancien Empire fabriquées avec des matériaux similaires à certains des scribes susmentionnés (calcaire peint, avec des yeux en cristal de roche, calcite et cuivre): le prince Rahotep (fils de Snéfrou et frère de Khéops) et sa femme Néfret (trouvés dans le mastaba de Rahotep, à Meïdoum):
Encore des statues de personnes de petite taille, dont le dénommé Perniankhou (en haut à gauche, en basalte peint, découvert dans sa tombe à Gizeh, puis le prêtre Knumhotep, en haut au centre, puis, dans la deuxième photographie, le prêtre Seneb entouré de sa famille (il fut prêtre funéraire de Khéops et de son fils Djédefrê, les statues sont en calcaire peint, et elles ont été trouvées dans le mastaba de Seneb, à Gizeh). Pas la moindre idée de l'identité des deux personnages à la droite de Perniankhou et Knumhotep.
Seneb et Knumhotep ont tous deux été responsables de la garde-robe des pharaons qu'ils servaient, en plus d'être prêtres (mais à des époques différentes: Seneb était en exercice à la fin de la Vème dynastie et au début de la VIème, Knumhotep plus tard pendant la VIème (Perniankhou, pour sa part, est un personnage de la IVème) Ils ont donc tout de même en commun d'être des gens de l'Ancien Empire.
Une petite photo de groupe, mais de pharaons que j'ai essentiellement été incapable d'identifier (pas le temps ou la jugeote de photographier leurs petits panonceaux explicatifs; pas d'aide du tout de la part d'Internet) (peut-être que le plus grand en bas à droite est Khéphren?). Au milieu, en tout cas, il y a Téti, un pharaon de la VIème dynastie (donc toujours l'Ancien Empire), successeur de Ounas et prédécesseur de Ouserkarê (la statue, en granit rose foncé, a été trouvée dans un puits près du temple funéraire de Téti, aux alentours de sa pyramide, à Saqqarah):
Même chose à droite de ce paragraphe: maintes statues exposées ensemble, dont une seule que j'ai pu identifier grâce à l'aide du web et des webnautes — à savoir le personnage assis exactement au milieu, en haut. Il s'agit de Ptahchepsès, le gendre et vizir du pharaon Niouserrê (de la Vème dynastie), qui a réussi à s'accaparer de nombreuses fonctions importantes: juge suprême, dirigeant une administration qui contrôlait le pays. L'écriteau du musée précise aussi qu'il était "prophète d'Hathor et de Rê". Bref, un sacré cumulard — à se demander si Ramsès II ne s'est pas un peu inspiré de lui, bien plus tard, pour ses ambitions d'omnipotence temporelle et cosmique.
Ci-dessous, une série d'autres groupes de statues dont je n'ai pu identifier les membres, pour les mêmes raisons que ci-dessus, sauf, la statue de bois représentant une figure féminine qui se trouve complètement à droite dans la dernière photo de la galerie: il s'agit de l'épouse de Ka-âper, le scribe et prêtre aperçu plus tôt dans ces lignes; elle a été découverte dans le mastaba de son mari, à Saqqarah, en même temps que la statue du scribe lui-même.
Sésotris III (statue en granit trouvée à Deir el-Bahari)...
... et son fils Amenhemat III (statue en diorite trouvée à Karnak), qui a régné avec son père comme co-régent pendant 20 ans, et a régné en tout 45 ou 46 ans...
...et était apparemment un boss de l'irrigation et de la régulation des eaux:
Ce buste de diorite trouvé à Fayoum représente aussi Amenhemat III, endossant cette fois des atours de prêtre:
(Photo de Mireille Legros ou Cecilia Camus)
Deux statues de la reine Néfret II, épouse de Sésostris II (le père de Sésostris III). La première statue est en granodiorite, la seconde en granit. Les deux ont été trouvées à Tanis, et représentent Néfret coiffée d'une perruque imitant la forme des oreilles de vache tombantes de la déesse Hathor sur les colonnes hathoriques — et c'est l'idée, de représenter la reine de façon à l'assimiler à Hathor.
La statue du ka du pharaon Aoutibrê Hor, pharaon de la XIIIème dynastie (donc le Moyen-Empire, celui où il y a tous les Sésostris, les Montouhotep et les Amenhemat) La statue en bois a été trouvée dans la tombe du pharaon (un simple puits menant à une chambre funéraire, creusé près de la pyramide d'Amenhemat III, à Dahchour).
Allez, un peu de regroupements thématiques. Voyons d'abord ce qu'on a pu voir, dans le musée, de relatif à Amenhotep IV, alias Akhenaton, le fameux pharaon "hérétique" du Nouvel Empire pré-ramesside, époux de Néfertiti et père de Toutânkhamon, qui voulait remplacer le culte polythéiste d'Amon et de ses mille descendants, cousins et avatars par celui, monothéiste, du disque solaire baptisé Aton:
Pour commencer on a deux colosses diversement endommagés, tous les deux trouvés à Karnak. Celui qui a toujours sa couronne est en grès. Il y a aussi un très beau buste de ce pharaon non conformiste quelque part dans le musée, mais apparemment on ne l'a pas vu ou on est passé trop vite pour le remarquer.
Ensuite, on a vu le sarcophage d'Akhenaton — ou dont il a en tout cas été décidé qu'il était vraisemblablement celui d'Akhenaton, car il ne porte aucun cartouche et la tombe où il a été trouvé à la Vallée des Rois ne portait nulle mention de l'identité du défunt. L'hypothèse qui fait consensus est que c'est un sarcophage initialement fabriqué pour Kiya, une épouse "secondaire" d'Akhenaton, mais après la fin du règne de ce dernier dans sa capitale dédiée à Aton (Akhetaton, sur le site de l'actuelle Amarna), et pendant le règne de son fils Toutânkhamon, le fiston devenu pharaon (alors qu'encore gamin) a fait improviser une sépulture au papounet en disgrâce (pour son "hérésie") et l'a fait rapatrier à Thèbes sans grande pompe, et le sarcophage aura été recyclé dans le feu de l'action).
Photo de Mireille Legros ou Cecilia Camus) —>
↓
(Celle-là aussi est de Cecilia Camus ou Mireille Legros)
On peut ajouter, par sens de la famille, le papa et la maman d'Akhenaton, le
pharaon Amenhotep III et sa femme Tiyi, qui apparaissent au fond de l'atrium du musée sous forme de gigantesques colosses de calcaire, avec des figures plus petites à leurs pieds, représentant leurs filles Henouttaneb et Nebetâh (ainsi qu'une troisième princesse non identifiée). Ce groupe statuaire se trouvait, à l'origine, au temple d'Amenhotep III à Thèbes, sur la rive ouest du Nil — autrement dit, sur le fameux site où il n'y a plus qu'un champ et les colosses de Memnon au milieu.
Enfin, dans la famille d'Akhenaton, il y a aussi, bien sûr, son épouse royale bien connue, Néfertiti, dont le musée renferme notamment une tête inachevée, en quartzite brun, qui a été trouvée à Amarna, et qui est potentiellement l'œuvre du sculpteur officiel d'Akhenaton, Thoutmôsis (qui est aussi l'auteur du célèbre buste similaire mais bien fini exposé à Berlin).
(Photo de Cecilia Camus ou Mireille Legros)
Maintenant, intéressons-nous aux objets liés à une autre figure familière à ce stade du voyage, la pharaonne Hatchepsout, qui apparaît notamment, dans ce musée, sous la forme de deux statues saisissantes:
Ceci est une tête de calcaire peint, vestige d'une statue d'Hatchepsout qui aurait dû être parmi celles de son temple funéraire à Deir el-Bahari, dans la nécropole de Thèbes (oui, celui qu'on a visité, avec les gigantesques terrasses). Donc les statues qu'on a effectivement vues étaient peintes comme celle-là, à l'origine:
—>
(Les deux dernières photos à droite sont
de Cecilia Camus ou de Mireille Legros)
Quant au duo statuaire ci-dessous, taillé dans un même bloc de granit gris, il représente Sénènmout, l'architecte du temple funéraire d'Hatchepsout (la grosse tête d'adulte), et Néférourê, la fille d'Hatchepsout et de Thoutmôsis II (la petite tête de bébé). La statue vient de Karnak:
... et un androsphinx de granit rouge à tête d'Hatchepsout, un! 😁 :
...et puisqu'on est sur Hatchepsout, passons à son beau-fils et ennemi posthume, Thoutmôsis III:
En plus de ses sphinx assis devant l'entrée du musée, il y des statues plus anthropomorphes de Thoutmôsis III à l'intérieur. Celle qui se trouve ci-dessous suit une mode qui a commencé après la VIème dynastie: le pharaon est représenté à genoux (devant un dieu), tenant dans ses mains deux pots dits "nu" pouvant contenir du lait ou du vin (en guise d'offrande au dieu). C'est une statue en diorite, trouvée à Karnak.
Au contraire, cette statue de grauwacke, elle aussi trouvée à Karnak, présente Thoutmôsis III fier et debout, en train de piétiner un socle orné de neuf arcs — la représentation, pour l'Égypte antique, des pays ennemis — pas toujours les mêmes, mais toujours en train de conspirer pour faire tomber le double royaume, et donc il était toujours nécessaire que les armées du pharaon aillent leur botter les fesses. (En somme, les neuf arcs, c'est un peu l'équivalent, pour les pharaons, de ce qu'était l'Axe du Mal pour George W. Bush, ou Eurasia et Eastasia pour Oceania dans 1984.)
(Photo de Cecilia Camus ou Mireille Legros)
Si Hatchepsout était l'"épouse royale" de Thoutmôsis II, une des "épouses secondaires" de ce pharaon, appelée Iset, ou Isis (et nommée en référence à la déesse Isis) était la maman de Thoutmôsis III. Et autant ce dernier ne pouvait pas blairer l'"usurpatrice" Hatchepsout, autant il aimait assez sa maman pour lui faire faire cette statue en granit noir, trouvée à Karnak:
(Photo de Mireille Legros ou Cecilia Camus)
Concentrons-nous à présent sur Amenhotep II (le fils de Thoutmôsis III):
Un autre pharaon en pleine génuflexion et offrande à on ne sait quel dieu. Cette fois-ci c'est Amenhotep II et il présente à son dieu une table d'offrande. La statue est en granit, et vient de Karnak:
Encore Amenhotep II, placé cette fois-ci sous la protection de la déesse-cobra Mereretséger, qui protège d'habitude plutôt les ouvriers de Deir el-Medineh. La statue est en granodiorite et vient de Karnak:
Et pour continuer avec les regroupements familiaux, le duo statuaire ci-dessous représente, à droite, Tiâa, l'épouse royale d'Amenhotep II, et, à gauche, leur fils, Thoutmôsis IV. La statue est, selon les sources, en granit noir ou en granodiorite, mais elle vient, en tout cas, de Karnak:
(Photo de Cecilia Camus ou Mireille Legros)
Sur cette statue d'Amenhotep II sous l'égide d'Hathor, déesse nourricière dépeinte, comme souvent, sous forme de vache, les infos données par le musée sont contradictoires. Le site dit qu'elle est en grès peint et a été récupérée au temple funéraire de Thoutmôsis III. L'écriteau dans le musée dit qu'elle est en calcaire peint, et qu'elle a été trouvée au temple funéraire d'Hatchepsout. Bon, certes les deux sont à Deir el-Bahari, mais on sait à quel point ils n'aimeraient pas qu'on les confonde...
(Photo de Cecilia Camus ou Mireille Legros)
Un premier intermède animalier avec les Oies de Meïdoum, superbe pièce de peinture sur plâtre extraite d'un mur du mastaba de Nefermaât, le fils et vizir de Snéfrou, qui fut notamment chef des travaux pendant la construction de la pyramide de Snéfrou à Dahchour (la pyramide ratée, "rhomboïdale", dont on a déjà parlé). Le mastaba de Nefermaât se trouve, comme le suggère le nom qu'on donne aujourd'hui à cette peinture murale, à Meïdoum.
(Photo de Cecilia Camus ou Mireille Legros)
... et ça fait longtemps qu'on n'a pas vu Ramsès II, dites donc! Heureusement, on va pouvoir rattraper ce bref manque de visibilité du pharaon aux 350-statues-dont-50-colosses-(environ). Pour une fois, par contre, ce n'est pas un colosse, dont il va être question (mais bon, c'est vraiment pas une statuette non plus). La sculpture en granodiorite, trouvée à Tanis, représente Ramsès II enfant, la tête surmontée d'un disque solaire (donc tout petit il était déjà l'incarnation d'Amon-Rê), avec, derrière lui, en guise de garde du corps, un dieu faucon libanais nommé Horun, assimilable (et assimilé) à l'avatar d'Horus nommé Harmakhis (= "Horus dans l'horizon", parce qu'il personnifie le soleil aux moments de l'aube et du crépuscule).
(Photo de Cecilia Camus ou de Mireille Legros)
La statue ci-dessous est en granit rose et représente le pharaon Mérenptah, dans un rôle de porte-étendard — exactement comme le colosse de Ramsès II qu'on a vu devant l'entrée du musée. (Mérenptah était justement le successeur de Ramsès II, dont il était aussi le treizième fils (et le premier à lui avoir survécu, d'où le passage de couronne — car pour rappel Ramsès II a vécu environ 90 ans, ce qui était, à l'époque, un record miraculeux, et a eu un peu plus d'une centaine d'enfants). La mère de Mérenptah n'était pas Néfertari mais l'autre épouse royale de Ramsès II, Isis-Néféret.
Au moins une des petites têtes ci-dessous est celle, en quartzite, d'une fille d'Akhenaton, dont le musée ne donne pas le nom mais qui a été trouvée à Amarna. Comme l'autre tête et la statue complète sont sculptées dans un style similaire, on peut supposer que les trois pièces viennent d'Amarna (puisque le style développé par les artisans d'Akhetaton est connu pour être singulier, par rapport au reste de l'art égyptien antique).
Maintenant, la minute papyrus!:
(Les trois dernières photos sont de Cecilia Camus ou Mireille Legros)
...avec un focus particulier sur le papyrus ci-dessous:
découvert à Saqqarah mais datant de l'époque ptolémaïque, il s'agit d'un fragment du papyrus funéraire d'un prêtre du culte de Bastet, la déesse à tête de chat. Le prêtre s'appelait Djéser, et la scène dessinée sur le papyrus n'est autre que la psychostasie que j'évoquais plus haut (à la Vallée des Rois): ce passage décrit dans le Livre des morts
où Horus et Anubis s'affairent à peser le cœur du défunt, pendant que Thot rédige les minutes du procès, qu'Osiris préside, et Ammoût attend avec impatience de bouffer l'âme du mort si son cœur s'avère plus lourd que la plume de Maât posée de l'autre côté de la balance:
Ce papyrus est une belle transition vers ce qui est sans doute la partie la plus significative de la visite au musée. Parce que tout ça, c'est bien joli, mais, quand toutes ces statues, ces peintures murales, ces bas-reliefs et ces papyrus ne viennent pas de temples (parfois funéraires), ils viennent quand même essentiellement de tombes: pyramides, mastabas, ou juste grand trous à Thèbes ou ailleurs. Comme le résume Grégoire Kolpaktchy dans son intro à sa traduction du Livre des morts:
"Parmi les peuples de l'Antiquité, aucun n'a manifesté pour le mystère de la mort un intérêt aussi passionné et aussi exclusif que le peuple égyptien. Penché sur cette énigme depuis l'aube de sa civilisation, cherchant des solutions, organisant toute sa vie politique, sociale et religieuse en fonction de ce problème, l'ancien Égyptien, en possession d'une tradition ésotérique immémoriale et de centres initiatiques nombreux et bien organisés, crut pouvoir dominer la mort. L'élite du peuple — les initiés — élabora une technique qui, croyait-elle, permettait au défunt de diriger son existence posthume. [...] L'ancien Égyptien était hypnotisé, fasciné par le Mystère de la Mort. L'Univers tout entier était pour lui un sarcophage immense, cosmique. [...] La divinité centrale, Osiris, étant morte, les autres dieux ne se manifestent qu'en fonction de cette tragédie: ils vénèrent et glorifient sa mémoire; ils pleurent Osiris; ils le vengent. Comme une contagion, la mort d'Osiris affecte les rangs des dieux mâles, grands et petits: Râ et Horus, Ptah et Amon, Hapi, Kebhsennuf, etc., raides et les bras croisés sur la poitrine, — dans la pose hiératique de la momie —, surgissent devant nous sous les traits d'un Osiris immobilisé par la mort... Et les déesses? Elles vivent, pour pleurer et pour se lamenter. Une atmosphère lugubre, fantastique, irréelle se répand sur toute la vie égyptienne: une ambiance de nécrobiose, de nécrophilie, de nécromancie..."
Livre des morts des anciens Égyptiens (1954), J'ai Lu, 2009, p. 15, 18 et 19
Or, dans les tombes, il n'y a pas que de la déco. Il y a aussi des morts; et il y a aussi, bien sûr, des accessoires nécessaires pour que ces morts puissent "diriger [leur] existence posthume".
Donc, déjà, des momies, au Musée égyptien de la place Tahrir, il n'y en a plus que deux. Il y en avait un peu plus d'une vingtaine à l'origine, dont celles de
Ramsès II, Ramsès IX, Ramsès VI, Ramsès V, Séthi Ier, Thoutmôsis III, Hatchepsout, etc., mais 22 d'entre elles ont été transférées en 2021 au Musée national de la civilisation égyptienne, à Fostat, puis un certain nombre ont été redéplacées pour aller occuper la salle des momies royales au Grand Musée Égyptien bâti sur le plateau de Gizeh, et censé ouvrir bientôt depuis des années. Les deux seules momies restantes, place Tahrir, sont celles de Touya et Youya, les parents de Tiyi (l'épouse d'Amenhotep III, qui est assise au bras de ce dernier dans la sculpture giga-colossale de l'atrium présentée un peu plus haut). Ils avaient été enterrés, intialement, à la Vallée des Rois.
(Photos de Cecilia Camus ou Mireille Legros, sauf la quatrième)
Outre les momies elles-mêmes et leurs sarcophages, une tombe de l'Égypte antique contenait aussi des vases canopes, récipients destinés à contenir les viscères embaumés des défunts momifiés. Ils étaient au nombre de quatre et eux-mêmes enfermés dans un coffre canope.
Ainsi, la galerie de photos ci-dessous montre trois des vases canopes de Kiya, l'épouse secondaire d'Akhenaton mentionnée plus haut (ils sont en calcite et ont été trouvés à Amarna), et le coffre canope d'Akhenaton lui-même (trouvé à Amarna également):
Les photos ci-dessous montrent les vases canopes et le coffre canope de Touya, la mère de Tiyi. Le coffre est en bois noirci à la poix, avec les figures dorées d'Isis et Nephthys sur deux faces, celles d'autres déesses, Neith et Serket, sur les deux autres. Les vases sont en calcite. L'ensemble a bien sûr été trouvé dans la tombe de Touya et Youya, à la Vallée des Rois.
(Photo de Mireille Legros ou Cecilia Camus)
(La dernière photo est de Cecilia Camus ou de Mireille Legros)
Dans le cas de Toutânkhamon, le coffre contenant les vases était lui-même rangé à l'intérieur d'une châsse de bois doré, donc la prochaine fois que vous offrez à quelqu'un, pour plaisanter, un paquet cadeau à l'intérieur d'un paquet cadeau à l'intérieur d'un paquet cadeau, dites-vous que vous y avez mis autant de soin que les embaumeurs de Toutânkhamon pour ranger ses viscères.
Par contre, on n'a pas la photo, de la châsse, pour des raisons indépendantes de notre volonté qui apparaîtront claires d'ici peu.
Pour les mêmes raisons qui seront bientôt dévoilées, on n'a pas non plus de photos du célèbre masque mortuaire précieux dont était recouverte la tête de la momie de Toutânkhamon, dans son sarcophage.
Mais on a bien pu voir et photographier, par contre, ceux de Touya et Youya:
(Les trois premières photos
sont de Mireille Legros
ou Cecilia Camus)
Il y avait aussi les grands sarcophages externes de Touya et Youya, à l'intérieur desquels étaient rangés les sarcophages qu'on a vus plus haut (et les momies avec), ainsi que des coffres à bijoux de bois damasquiné, qui se trouvaient également dans leur tombe:
(Les deux dernières photos sont de Cecilia Camus ou Mireille Legros)
Puisqu'ils ont une "existence posthume", ces sacrés Égyptiens antiques, et puisque les tombes royales sont censées être un lieu de vie littéral à partir du moment où leurs propriétaires passent l'arme à gauche, il est important qu'il y ait le tout confort. Clairement, Toutânkhamon avait prévu de longues soirées à se prélasser en lisant d'intéressants papyrus, et il ne voulait pas avoir mal au dos, car sa tombe contenait au moins deux sièges des plus élaborés, l'un généralement qualifié de trône de cérémonie, et l'autre de fauteuil de cérémonie:
(Les deux premières photos et la dernière sont de Cecilia Camus ou Mireille Legros)
Petite rectification de ce qui est dit un peu plus haut: s'il n'y a plus que deux cadavres humains momifiés entre les murs du musée de la place Tahrir, dès lors qu'on étend le recensement au-delà du genre humain, on s'aperçoit qu'il y a en fait beaucoup plus de momies que ça. Parce que les momies de bestioles, par contre, il y en a des flopées, des palanquées et même des ribambelles (bon, les photos ont été un peu galères à prendre, avec les reflets sur les vitrines et le rythme de marche soutenu, et ça se voit):
(Les deux dernières photos sont de Cecilia Camus ou Mireille Legros)
À part les quelques objets montrés plus haut, la majeure partie des trésors découverts par Howard Carter dans la tombe de Toutânkhamon en 1922 (dans la Vallée des Rois) est regroupée dans une petite salle dédiée, et comme promis, voici l'explication pour l'absence de photos de cette salle dans cet album: il était interdit d'en prendre (et il y avait même un garde extrêmement peu commode qui venait hurler avec insistance sur les gens qui essayaient, et leur arrachait leur portable pour effacer les photos lui-même). 😞
À part les immenses créations artistiques érigées, sculptées ou peintes à la gloire des pharaons, des dieux, des deux, des gens qu'étaient censés être les deux, ou d'autres personnes plus ou moins importantes, le musée a aussi plusieurs salles et plusieurs vitrines consacrées à des objets du quotidien (ustensiles de cuisine, chaussures, jeux de société), et à du petit artisanat plus terre-à-terre (diverses sortes de bijoux, de poteries, de petites statuettes, etc.)
(Alors, probable que certains des bijoux et certaines des statuettes aient une valeur plus ou moins sacrée ou célèbre l'institution pharaonique et son représentant doublement couronné — notamment, parmi les statuettes, il doit y avoir pas mal d'ouchebtis (les statuettes que les pharaons et les nobles embarquaient dans leurs tombes en guise de serviteurs (le véritable sacrifice des vrais serviteurs de chair et de sang n'ayant existé que pendant la Ière dynastie (donc même du temps de Djéser, qui a fondé la IIIème, ils ne le faisaient plus))), mais on n'a pas vraiment eu le temps de faire la distinction, donc je vous mets ça (les p'tits objets) pèle-mèle):
(7 photos de moi, puis 21 photos de Cecilia Camus ou Mireille Legros)
Pour terminer cette visite, on va revenir à un ou deux trucs un peu plus religieux et/ou royaux, en vrac là aussi:
Au milieu des momies d'animaux, on trouve aussi des statues d'animaux sacrés, dont cette statue de babouin:
Parmi les objets récupérés dans la tombe de Toutânkhamon mais exposés en dehors de la zone "photos interdites", donc là où on trouve les sièges ou les vases canopes montrés plus haut, il y a une magnifique statue d'Anubis, le dieu chacal qui pèse le cœur des défunts (mais là il apparaît sous forme exclusivement thériomorphe, pas sous la forme hybride corps humain/tête de chacal qu'il adopte souvent dans les peintures murales, bas-reliefs et sculptures le représentant):
(Photo de Cecilia Camus ou de Mireille Legros)
... et puisqu'on est dans les représentations seulement thériomorphes de dieux, on a aussi pu admirer cette célèbre aquarelle d'Howard Carter représentant Horus sous forme de faucon, reproduisant une image peinte sur un mur du temple d'Hatchepsout) (normalement, c'est censé se trouver au Griffith Institute, à l'Université d'Oxford, mais ce doit être un prêt):
Rassurez-vous: on n'est pas parti sans que des pharaons soient venus (sous forme de statues, dans l'allée entre les tables de restaurant par laquelle on quitte le musée) nous faire coucou. Pas moyen de trouver leur identité, par contre, mais à vue de nez ça a l'air d'être deux fois la même, et je ne serais pas surpris que ce soit Ramsès II. 😉
Conclusion intra-urbaine et aérienne
J'ai teasé plusieurs fois le gigantisme ultra-urbain du Caire. Comme pour Assouan et Louxor un peu plus haut, je profite de cet épilogue pour vous montrer tout un tas d'aperçus de la ville vue du bus:
(32 photos de Cecilia Camus ou Mireille Legros, puis 3 photos de Sylviane Camus, puis 12 photos de Mireille Legros ou Cecilia Camus)
... et pour vraiment finir, ma sœur a eu la riche idée de prendre pas mal de photos de l'Égypte vue d'avion, au cours des quatre vols qu'on a faits pendant le séjour (Toulouse-Le Caire + Le Caire-Louxor + Louxor-Le Caire + Le Caire-Toulouse), donc, grâce à elle, petite coda poétique:
(Photos de Cecilia Camus)
Générique
Distribution
Cecilia Camus — dans son propre rôle
Mireille Legros — dans son propre rôle
Moi — dans mon propre rôle
Sylviane Camus — dans son propre rôle
Vedettes invitées
Amr — dans son propre rôle
Kariman — dans son propre rôle
Les colosses de Ramsès II — dans le rôle de Ramsès II
Remerciements
L'agence Tui pour l'organisation du voyage
L'agence égyptienne Triad pour l'organisation des visites et de la croisière
L'équipage du Nile Capital
Sophie Ehrsam, pour m'avoir recommandé You're Dead to Me
Redbubble et Cavity Colors pour les tee-shirts
— y compris ceux qui n'ont pas été attrapés par les appareils photos, et que voici: